’77 Alpine A310 GTP Le Mans : Poisson Dieppois !
par Thierry Houzé | 10 décembre 2019 | Racing |
Si l’image d’Alpine a longtemps été liée à celle des 24h du Mans, on retient surtout l’épopée de la Berlinette en rallye. C’est pareil pour l’Alpine A310… Championne d’Europe de rallycross (deux fois) et championne de France des rallye, un passionné lui a fait poser les roues sur circuit. Et pas n’importe où, aux 24h du Mans…
Cette initiative privée, elle est directement sortie de l’imagination (Et du compte en banque…) d’un passionné, Bernard Decure. Inspecteur technique chez Alpine dans les années 70, il a également taquiné du volant en course de côte et sur circuit. En 1976, il tombe sur une voiture qui traine là, au fond d’un atelier.
En fin d’année 74, cette A310 avait servi de base à une étude de Groupe 5. Le châssis avait été mis au point par Mauro Bianchi (Un ex-pilote d’usine, grand père du regretté Jules Bianchi) et le moteur développé par François Castaing. Tous deux ont reçu le renfort de jeunes ingénieurs de l’usine Renault Gordini située à Viry Châtillon.
partis d’une A310 1600, ils ont bossé sur un châssis poutre. Lui ont greffé un V6 2.8l tout alu gavé par une injection Lucas, avant de l’habiller d’une caisse en polyester allégé. Avec 320 ch pour 800 kg, elle laissait présager du bon pour l’équipe…
Mis à part qu’Alpine décidera d’abandonner le projet afin de se consacrer à la version rallye. Du coup, la voiture va être posée au fond d’un atelier jusqu’au jour où Bernard Decure allait tomber dessus. La voiture n’a plus de moteur, mais cela ne décourage pas Bernard qui décide alors de la racheter et d’en terminer le développement avant de lui faire prendre le départ des 24h du Mans.
Dans un premier temps, il demande à Gérard Larousse de jouer l’intermédiaire pour obtenir un soutien officiel d’Alpine. Mais la marque ne veut pas voir son nom sur une voiture privée, surtout qu’elle met alors toute son énergie sur l’A442.
Bernard se retrouve donc seul sur ce projet avant de finir par obtenir un coup de main du motoriste Marc Guerbert. Et ce sera dans le sous sol de sa maison que l’A310 reprendra vie, après 3500 heures de travail acharné. Elle va alors recevoir un V6 PRV 2.7l, alimenté aux Weber pour sortir 225 ch. Un boite ZF vient passer les watts sur les roues arrière. Enfin, la voiture va être mise aux normes de la classe GTP. Les suspensions sont revues avec triangles et barres à l’arrière, porte moyeu avec écrou central, nouveau réservoir de 88 litres, jantes Gotti sur mesure, freinage avec étriers ATE 2 et 4 pistons, qui viennent mordre des disques de CX. Le poids est revu… à la hausse pour revenir aux 975 kg minimum, imposés par le règlement.
Histoire de revendiquer ses origines, Bernard Decure lui offre une robe bleu, blanc, rouge… avec un sponsor original, dont l’histoire vaut le détour. Pour obtenir une aide de la Chambre de commerce et d’industrie de Dieppe, Bernard Decure et Louis Gontier ont une idée farfelue… A une époque où les cigarettiers et autres marques d’alcool font office de financiers dans le sport auto, ils préfèrent mettre en avant une entreprise locale. Du coup, ils réalisent une maquette de l’A310 avec un slogan sur le capot : « Poisson Dieppois, poisson de choix »… La proposition va séduire les décisionnaires et les deux hommes vont repartir avec un chèque de 70.000 francs ! Mais ce slogan va lui coller à la tôle et la voiture sera surnommé poisson dieppois !
La voiture est prête pour l’édition 77 des 24h du Mans. A son volant, on retrouve le trio Bernard Decure, Jean-Luc Thérier et Jacky Cauchy. Pénalisée par son manque de puissance et sa prise de poids, la voiture va se qualifier en 55ème place sur la ligne de départ et gagnera une place après la disqualification d’un équipage. En course, elle montre un comportement efficace, rivé au sol. Mais après 17 heures de course et en 28ème position, un collier trop serré sur le circuit de refroidissement entraine une fissure dans une durite. Le moteur se met à chauffer et Jean-Luc Thérier rentre au stand. Sans chercher véritablement, l’équipe conclue trop rapidement à une problème moteur. Il est 6h28 du matin et l’A310 abandonne… alors que le moteur n’a rien. Une nouvelle durite, un nouveau collier, le plein de liquide et la voiture aurait pu repartir !
L’année suivante, Bernard Decure décide de retenter l’aventure. Il remplace le moteur par un autre V6 2.8l avant qu’Alpine accepte de lui prêter son banc d’essai pour peaufiner les réglages. Avec 310 ch et une nouvelle robe bleue et blanche aux couleurs de Behar Électricité Moteur, la voiture s’aligne aux qualifs sans parvenir à réaliser un temps suffisant pour décrocher une place.
Bernard Decure va conserver la voiture pendant 41 ans avant de la confier à Yvan Mahé d’Equipe Europe afin qu’il lui offre une restauration dans les règles de l’art pendant qu’Oreca se chargeait de rénover le moteur. Elle a pu alors poser à nouveau ses roues dans la Sarthe à l’occasion de l’édition 2018 du Mans Classic, pour le plus grand plaisir du public.
Depuis, Bernard Decure estime avoir accompli sa mission et a décidé de se séparer de son Alpine A310 pour se lancer dans un nouveau projet. Elle est à vendre chez Ascott Collection.
© Ascott via DR & Luc Joly
Superbe morceau d’histoire et de bravoure !!!