Remettons nous dans le contexte. Nous sommes en 67 et Ford est au sommet des courses d’endurance avec sa GT40… Mais voilà, comme à chaque fois, quand une marque écrase la concurrence et risque de rendre la discipline rébarbative, les instances changent le règlement… Une façon de redistribuer les cartes. C’est justement ce qu’il va se passer en 68, même si Ford ne compte pas laisser son trône aussi facilement en sortant sa P68 F3L.
1966, la Ford GT40 MKII s’offre un triplé au Mans. Les V8 de 7.0l résonnent encore dans les Hunaudières et Ford accroche enfin sa revanche sur les GT rouge italiennes élevées à Maranello. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. La marque à l’ovale bleu s’impose à nouveau l’année suivante avec sa GT40 MKIV qui affiche elle aussi 7.0l de cylindrée.
Mais voilà, il va falloir improviser. Pour 68, les Protos vont devoir se limiter à 3.0l pendant que la catégorie Sport pourra continuer à miser sur des gros cubes, tant qu’ils ne dépassent pas les 5.0l. Et forcément, comme Ford écrase tout avec ses V8 de 7.0l, les concurrents vont alors déserter pour passer chez les Protos pendant que la GT40 MKI avec son 4.9l fait son come back en Sport.
Alors oui, la GT40 va encore s’imposer en 68 et 69, mais à courir sans concurrents, on gagne sans gloire. Puis la nouvelle tendance, c’est le 3.0l où on retrouvent Porsche, Alpine, Matra, Alfa Romeo et bien sûr, Ferrari.
Les écuries qui étaient restées en GT40 MKI peuvent continuer à courir. Mais celles qui engageaient des MKII, MKIII et MKIV se retrouvent à pied, avec parmi elles, le Alan Mann Racing qui va alors décider de développer sa propre voiture, sous couvert de son partenariat avec Ford, pour utiliser le 3.0l DFV. Mais quoiqueesequecé que le DFV ?
Eh bien mes chers amis, il s’agit ni plus ni moins du V8 3.0l développé par Cosworth en 67, pour les Lotus F1 de Colin Chapman. Au fil de ses évolutions, il allait développer de 400ch à 9000trs jusqu’à 500ch perchés à 11.200trs.
Pensez bien qu’avec un tel ramage il fallait un plumage qui en impose. Et plutôt que de se la jouer monstre de la route, le Alan Mann Racing va préférer signer une voiture aussi fine que belle ! Oui, même les voitures de courses pouvaient être séduisantes. Techniquement, elle s’appuie sur une monocoque en aluminium avec une aéro qui privilégie la finesse. La caisse est alors capable d’accrocher les 350 en pointe… Mais elle est aussi stable qu’une girafe sur la banquise ! D’ailleurs John Surtess et Jack Brabham refusent d’y poser leurs fesses !
Les kamikazes qui accepteront de la dompter seront donc Jochen Rindt et Mike Spence ainsi que Bruce McLaren et Denny Hulme. Le baptême de la P68 F3L aura lieu aux 6h de Brands Hatch. Rindt et Spence verront leur moteur partir en fumée pour la qualifs pendant que McLaren et Hulme réussiront à hisser la voiture en 2ème place sur la grille de départ. Mais en course, la transmission rendra l’âme.
Aux 1000 km du Nürburgring, le Alan Mann Racing aligne 4 nouveaux pilotes pour ses 2 voitures. Mais là encore, la F3L confirme sa réputation. Une des voitures, malgré une 5ème place en qualif, abandonnera en course sur des problèmes de freins. L’autre aura moins de chance, puisque pendant les essais elle est victime d’une sortie et est détruite. Son pilote, Chris Irwin, gravement blessé, est contraint de mettre un terme à sa carrière. Une semaine plus tard, une seule F3L est alignée aux 1000 km de Spa… Malgré la pole position, la voiture abandonnera en course sur des problèmes électriques. Au Tourist Trophy et à Silverstone, c’est encore une fois l’abandon.
En 69, le Alan Mann Racing essaye de la faire évoluer. Elle perd son toit, et gagne des ailerons pour essayer de l’aider à rester sur la route. C’est pire… A tel point que Jack Brabham refusera de prendre le départ des 6h de Brands Hatch à son volant.
Finalement, cette P68 semblait donc cacher son jeu. Derrière un physique de top model, elle cachait surtout un caractère de serial killer ! Elle sera vite oubliée… A la rigueur, on ne retiendra que sa beauté. C’est déjà ça !