Quand tu n’as pas d’argent, il te faut beaucoup de talent, de l’imagination et de la créativité. Mais dans les années 70, quand on s’appelle Colin Chapman et qu’on assemble ses propres voitures de sport nommées Lotus, on peut faire des miracles juste en prenant le temps de se poser les bonnes questions et d’en trouver les meilleures réponses… En fait, il fallait avoir de l’esprit !
Chapman est ingénieur de formation, ancien de la Royale Air Force. A la fin des années 40, ce passionné de course auto essaye d’utiliser ses connaissances en aéronautique pour préparer des Mini et Austin 7 avec lesquelles il coure en trial, une sorte de rallycross en côte. Une fois la saison finie, il revend ses voitures dans le but de financer la suivante. Déjà à l’époque, il les baptisait Lotus (Le surnom qu’il donnait à Hazel Williams, celle qui allait devenir sa femme).
En 1952, il abandonne le pilotage pour se consacrer exclusivement à la préparation, il fonde alors la Lotus Engineering Company Limited et créée sa 6ème voiture, la Lotus Mk6, une voiture de course homologuée route. Le succès est au rendez vous, Chapman vend 100 voitures en 2 ans et envisage une petite production en série. En 55, sa société devient Lotus Cars, suivie deux ans plus tard par le Team Lotus. C’est aussi en 57 qu’il présente sa Seven, qui deviendra rapidement un succès pour la marque. En 60, c’est l’Elan qui entre dans la danse…
Les Lotus font désormais partie des références, d’autant plus qu’en course auto, la marque ne fait pas de la figuration, notamment en Formule 1. Et pour ne rien gâcher, à la télé, Le Prisonnier roule en Lotus Seven. Bref, tout va bien à Hethel.
En 1971, Colin demande à Ital Design d’étudier un concept de sportive 2 places avec un moteur en position centrale arrière. L’année suivante, au salon de Genève, Lotus présente son premier bloc 100% maison, un 4 cylindres 2.0 l 16s atmo tout alu (Type 907) qui se retrouve sous le capot de la Jensen-Healey. En parallèle, Ital Design présente le concept Maserati Boomerang et compte s’en inspirer pour développer la future Lotus… Sauf que le dessin déçoit Colin Chapman. Mais Giorgetto Giugiaro est sûr de lui, il trouve les arguments pour convaincre Chapman de le laisser continuer dans cette voie… enfin surtout lorsqu’il lui annonce qu’il ne lui facturera pas le prototype présenté !
De retour en Angleterre, Colin fait modifier un châssis de Lotus Europe, un châssis poutre élargi à l’arrière pour recevoir le moteur, avant de l’envoyer en Italie. De son côté, Giugiaro fait réaliser une carrosserie en alu pour venir l’habiller. En son centre, on lui greffe le 2.0 l Twin Cam de la Lotus Europe. Enfin en novembre, au salon de Turin 1972, Ital Design présente le premier prototype officiel de celle qui en 1975, au salon de Paris, deviendra l’Esprit.
Enfin, entre Turin et Paris, il va y avoir du taff. Chapman envoie Oliver Winterbottom (Son designer) chez ital Design, afin de les aider à faire passer la carrosserie de l’alu à la fibre tout en solutionnant les problèmes de température au niveau du moteur. Le pare brise va subir de nombreuses adaptations pour pouvoir répondre aux normes de visibilité. Pendant ce temps là, à Hethel, Tony Rudd et ses ingénieurs se chargent du développement du châssis et de la mécanique, en l’occurrence le nouveau 4 cylindres, mais aussi prévoir l’arrivée éventuelle d’un V8.
Face à cette complexité technique, il faudra plus de 3 ans pour finaliser l’Esprit et répondre aux exigences de Chapman. Mais le résultat est là… Un dessin futuriste pour l’époque, un poids contenu, un moteur pétillant et une architecture sérieuse qui assure sportivité, efficacité et performances. Le public est conquit…
Les ingénieurs de Lotus ont donc fini par trouver des solutions et contourner tous les problèmes qui se sont posés à eux. Le train avant est celui d’une Opel Ascona. L’arrière est 100% spécifique à la Lotus. Le 4 cylindres respire en position centrale arrière. Tout alu, double arbres, gavé par un duo de carbus Dell’Orto double corps 45, il envoie ses 160 ch aux roues arrière via une boite 5 manuelle longitudinale, empruntée à la Citroen SM. Sa compacité permet d’installer des freins arrière onboard.
Dès le salon de Paris, Lotus enregistre ses premières commandes… nombreuses ! Mis à part que si la voiture est prête, sa ligne de production est loin de l’être ! Les clients devront attendre quasiment un an avant de pouvoir prendre livraison de leurs voitures. Quant à ceux qui hésitaient, ils voient le prix doubler en moins d’un an… la douche est un peu froide même si l’Esprit affiche finalement un tarif comparable à celui de ses rivale, Porsche 911, Jaguar XJS ou Alpine A310.
Bien entendu l’Esprit n’est pas une copie parfaite. Sa finition est quelconque, son moteur jugé trop pointu, ses trains roulants, bien qu’efficaces, n’ont rien de moderne. Mais le charme agit… son dessin est digne d’un concept car, son comportement la place en haut de la hiérarchie, bien aidé par le rapport poids / puissance. Ses performances lui permettent de rivaliser avec les meilleures de la catégorie. Une fois encore, Chapman montre qu’il maitrise la recette pour proposer des sportives simples et pures, capables d’envouter ceux qui en prennent le volant, avec parmi eux, un certain James Bond en 77 qui ira jusqu’à en faire un sous marin !
En 78, l’Esprit va évoluer mécaniquement et esthétiquement, elle devient S2… Les séries limitées viennent commémorer les victoires sur circuits et les titres en Formule 1. Le 4 cylindres grimpe à 2.2 l et en 81, l’arrivée de la S3 voit aussi celle d’un turbo qui va lui faire passer la barre des 200 ch et séduire une fois encore l’agent secret le plus célèbre de la planète. Le style a changé, gros pare-chocs, bas de caisse, aileron arrière…
Chapman disparait en 82. Lotus va alors changer de mains à plusieurs reprises ce qui n’empêchera pas les évolutions de s’enchainer sur l’Esprit. En 86, l’injection fait son apparition avec la version HC (High Compression) qui voit sa puissance grimper à 240 ch (180 pour l’atmo). En 87, l’Esprit S4 voit le jour. Esthétiquement elle gagne en bestialité ce qu’elle perd en fluidité et en légèreté par rapport au dessin originel de Giugiaro. Mais elle est toujours plus puissante et plus performante, 264 ch puis 300 ch. Le châssis s’adapte, sans sacrifier ni son architecture, ni son efficacité. En 95, Lotus dévoile enfin son Esprit V8. L’anglaise affiche alors 354 ch et devient réellement « missilesque » avec un 0 à 100 qui passe sous les 5 secondes, le 400 m sous les 13 et le kilomètre est pulvérisé en seulement 23,4 secondes ! Elle vient énerver les références, Porsche 993 Turbo et Ferrari F355.
En 2003, après presque 30 ans de carrière et plus de 10680 exemplaires, l’Esprit disparait du catalogue de Lotus. Pendant un temps, la marque a annoncé une remplaçante, mais les réalités économiques ont vite rattrapé celles d’un patron trop ambitieux qui a fini par quitter le navire. En attendant les aficionados croisent les doigts… ce qui n’empêche pas l’Esprit de déjà faire partie du Panthéon de l’automobile.
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