D’habitude, quand je propose un article sur une Alfa, je vois aussitôt Tim ou Julien se jeter dessus tels des assoiffés sur une bouteille de limoncello bien glacé. Sauf que contrairement à mes deux lascars qui vouent un culte aux italiennes, c’est loin d’être mon cas. Non pas que je les déteste, j’aime autant une italienne qu’une allemande ou qu’une japonaise. Donc je ne sombrerait pas dans le piège trop facile de la partialité emportée par la passion au détriment dela raison. V’là donc une italienne au caractère affirmé et à la silhouette un peu retouchée.

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Il fut un temps où en sport auto, quand un pilote s’alignait au volant d’une Alfa Romeo, on le regardait de travers. Manifestement il n’avait pas fait le déplacement pour enfiler des perles, et encore moins faire acte de présence. Les italiennes frappées du Biscione étaient capables de jouer la gagne dans leurs catégories, et ce, aussi bien en rallye que sur circuit. Forcément, les victoires du dimanche offrant une légitimité sportive aux voitures, elles se vendaient les autres jours de la semaine aussi bien qu’un panettone pendant les fêtes de Noël. Et ‘lgars qui se trémoussait en Alfa, il jouissait d’une image respectueuse, équilibrée entre classe et sportivité. Le gars qu’on vouvoie et qu’on appelle Monsieur !

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Sauf que les Alfa avaient un p’tit truc en plus. Un truc assez paradoxale d’ailleurs. Si elles étaient capables de se dissoudre sous la pluie, elles pouvaient aussi envoûter tous ceux qui posaient leurs fesses derrière le volant. Mais il fallait alors accepter leurs défauts qui suffisaient à transformer n’importe quel pilote zen en véritable psychopathe habité d’une féroce envie d’y foutre le feu. Refus de démarrer, pannes aléatoires, voyant qui s’allume sans raison, vieillissement anticipé les jours de pluie… C’était un peu le quotidien d’un alfiste, constamment partagé entre l’amour et la haine. A chaque jour son nouveau problème. Mais ça faisait partie du caractère des italiennes. Se faire désirer, vous énerver, jusqu’au moment où elles décidaient de fonctionner sans le moindre caprice, pour vous offrir alors un moment d’intimité unique, pardonnant toutes les crises qu’elles vous avaient fait subir avant. A ce moment là, elles en prenaient pour leur grade… et elles aimaient ça. A croire que les caprices étaient volontaires, juste dans le but d’alimenter une frustration qui allait se terminer dans une coït commun.

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Dans les années 60, c’est la Giulia GT qui joue le rôle de la teigneuse de la famille. Et elle ne fait pas les choses à moitié, surtout lorsqu’elle passe en mode GTA. Sauf qu’en 67, même si elle a encore la grande forme, il est temps de songer à lui trouver une remplaçante. D’autant plus que les règles ont changé. Les clients veulent toujours des coupés sportifs, mais ils veulent y coller madame, les gosses et éventuellement une ou deux valises pour pouvoir les déposer chez mémé avant de s’échapper pour le week-end en amoureux. On finit progressivement par abandonner les coupés 2+2 pour leur préférer ceux à l’esprit plus grand tourisme.

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Dans un premier temps, Alfa reprend contact avec Giugiaro. C’est lui qui avait tracé les lignes de la Giulia GT alors qu’il bossait chez Bertone sauf qu’entre temps, il a déménagé pour poser ses crayons et créer ItalDesign. Le cahier des charges impose donc 4 places et un coffre pouvant accueillir quelques bagages. Giorgetto va mettre un an pour rendre sa copie sachant qu’en parallèle, il doit bosser sur la berline Alfetta. Le trait va être tendu, inspiré par le coupé Fiat Dino V6 avec de subtils détails empruntés à la Montreal. La première ébauche reprenait les phares escamotables du coupé, mais jugés trop coûteux, ils seront remplacés par des double optiques ronds. Giugiaro va retoucher les lignes, et finalement c’est en 71 que le style extérieur de la future Alfetta GTV sera validé et figé. Pour l’habitacle, Alfa va faire confiance à ses propres designers.

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En 72, la berline Alfetta fait son entrée dans les concessions, suivie, deux ans plus tard par le coupé Alfetta GT. Sous le capot, on retrouve le 1.8 l double arbres de 122 ch. Cette propulsion repose sur un pont De Dion, un empattement plus court que celui de la berline, un train avant avec barre de torsion, compte sur quatre freins à disque et sur une architecture transaxle. Le châssis est bien né, équilibré et efficace, à tel point que ce qui doit arriver arrive, la voiture semble sous motorisée. Même si le 4 cylindres est volontaire, ce ne serait pas de trop d’en mettre plus sous le capot. Pourtant, chez Alfa, on va faire tout le contraire. En 74, la 1.8 l passe à 112 ch pendant qu’un 1.6 l de 109 ch rend la voiture encore plus accessible. La faute à des ventes catastrophiques pour la marque, des grèves en interne, mais aussi la crise pétrolière qui fait fleurir des normes et des taxes qui viennent castrer cylindrée et puissance. Heureusement, pendant l’été 76, le coupé italien alors en pleine dépression, voit arriver un 2.0 l sous son capot. Gavé par deux Weber 40 DCOE horizontaux, il développe 130 ch à 5400 trs. Avec 1110 kg sur la balance, il revendique 10 secondes de 0 à 100 et en demande 21 de plus pour passer la barre des 1000 mètres avant de filer à 195 km/h max. Y’a pas de quoi s’taper l’cul par terre. Mais la voiture est équilibrée, vivante, chante comme une grande et sais envoyer plus de sensations qu’il n’y parait sur le papier. Les alfistes se prennent pour Ascari et la magie opère. Même si une fois encore, elle mériterait d’en avoir plus. En tout cas, c’est déjà mieux qu’avant.

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Ce mieux, il va arriver en 79, sous la forme de la GTV6 et de son V6 2.5 l, un événement en soi. Depuis la fin des 60’s et la disparition de la 2600, plus aucun V6 n’avait trouvé sa place sous le capot d’une Alfa de route. Donc pour les alfistes, affubler le coupé de ce genre de mécanique, c’est un vrai moment de joie… un peu comme un jour de promo Frameto au Bricomachin du coin ! Autre révolution, l’apparition de l’injection qui vient abreuver le 6 cylindres… Ca parait con, mais c’est la première Alfa à y avoir droit ! Avec 160 ch sous le capot, l’italienne propose enfin des perfs au niveau de sa ligne. Elle dépasse maintenant la barre des 200 km/h, passe sous les 9 secondes dans l’exercice du 0 à 100 et sous les 29 pour le 1000 m. Alfa va la faire tenir jusqu’en 1987, à coups de légères évolutions esthétiques et de séries spéciales, sachant qu’en Afrique du Sud, ils auront aussi droit à une méchante variante équipée du V6 de 3.0 l.

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Il n’empêche que du coup, avec enfin un gazier offrant du potentiel sous le capot, notre coupé italien est devenu l’une des stars de la compet’, que ce soit pour les pros ou les amateurs. Il faut reconnaître qu’avec 160 ch pour 2.5 l, il y a avait forcément de quoi aller lui en chercher plus au fond tuyaux ! Ou alors commencer par le libérer avec une admission plus goulue et un échappement en mode full. C’est justement le cas du modèle qui se pavane devant vous depuis le début de cet article. Ligne complète, suspensions RS Racing réglables, freinage revu à la hausse et quatre Team Dynamics en 17″ pour venir remplir les ailes. Au niveau esthétique la prise d’air du capot a été modifiée et le pare choc avant est aux abonnés absents remplacé par une lèvre escamotable, simplement vissée… et c’est flagrant comme ça change le look pour le rendre bien plus viril. Dans tous les cas, il est open aussi bien pour aller faire les courses que pour aller faire la course !

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Finalement, il aura fallu du temps pour le coupé Alfa GTV6 se fasse enfin un nom et une réputation, la mode des youngtimers aidant, les spéculateurs se sont rendus compte de son existence. Comme beaucoup d’autres, les prix ont commencé à enfler avant de s’enflammer… Donc si l’envoie vous prend d’en avoir un dans votre garage, bougez vous le cul avant que ce soit trop tard. Si ça ne l’est pas déjà !

© Charlie Rousso & michaelbeau via BaT