Aujourd’hui, une Bugatti, c’est une vitrine technologique pour mégalos milliardaires, capable de vous propulser dans l’hyper-espace… Dans les années 30, c’était déjà la même chose puisque pour Ettore, rien n’était trop beau, rien n’était trop cher. C’est cet état d’esprit qui allait donner naissance à la Type 57 qui allait toucher l’excellence avec l’Aérolithe, un proto qui allait devenir l’Atlantic…
Bugatti a vu le jour en 1909. A l’époque, Ettore veut en faire le top du top, un mélange de sport et de luxe. Doux rêve ? Pas du tout ! Ce génie de la mécanique va déposer plus de 1000 brevets et voir les voitures marquées de son nom gagner plus de 10000 courses internationales et accrocher 37 records. Forcément, avec un tel palmarès, on rentre dans l’histoire. Mais pour en arriver là, il faut aussi envoyer du lourd. Oui, c’est facile de dire qu’on veut être les meilleurs, mais à un moment, faut se sortir les doigts… proposer des caisses capables de gagner, d’impressionner et de faire rêver, même plus de 100 ans après leur naissance. Et ça ce n’est pas donné à tout le monde.
Il faut savoir qu’Ettore Bugatti a mis les pieds dans la mécanique à l’âge de 17 ans en apprenant son job chez un fabricant de cycles et de tricycles. Doué, pendant que ses potes s’amusent à envoyer des Snap (enfin je crois…!) lui va rapidement imaginer, développer et assembler son premier véhicule. Impressionné par le jeune garçon, un riche ami de son père va lui apporter le soutien financier qui va lui permettre de lancer sa première voiture équipée d’un 4 cylindres de sa conception, équipé de soupapes en têtes, une première mondiale. Nos sommes alors en 1901, Ettore a tout juste 20 ans.
Après un passage chez Dietrich et chez Deutz (où il avait le sentiment d’être incompris) il préfère miser sur ses propres voitures et lancer sa marque homonyme en 1909 avec l’aide du banquier espagnol, Augustin de Vizcaya. Bugatti développe alors sa Type 13 une sportive qui va chercher son efficacité sur son poids plume et son châssis réglé aux petits oignons, capable d’en remontrer à des voitures plus puissantes qu’elle. L’histoire est en route… du moins jusqu’à ce que la guerre éclate et que l’effort de guerre contraigne Bugatti d’assembler des moteurs d’avions. Une fois le conflit terminé, Ettore qui s’était exilé à Milan puis à Paris, retrouve Molsheim qui entre temps, est devenue française. Les voitures vont alors s’enchainer aussi rapidement que leurs victoires en couses. Au delà de l’histoire, c’est maintenant la légende qui se met en marche.
A partir du milieu des années 20, Jean Bugatti rejoint l’aventure. Il a hérité du génie de son père, mais aussi du talent artistique de ses aïeux. Le duo va alors donner naissance en 1926, à la monumentale Type 41, plus connue sous le nom de Bugatti Royale et à son 8 cylindres en ligne de 12 763 cm3. Le summum du luxe et du prestige, même s’il n’empêche que la crise qui pointe le bout de son nez et qui débouchera sur la grande dépression des années 30, va mettre à mal l’outrecuidance des Bugatti. Pour sauver son usine, Ettore laisse son fils gérer la division automobile, pendant que de son côté, il va avoir l’idée d’assembler des bateaux, un avion et même des autorails qu’il équipe de 4 moteurs de Royale ! Ces derniers lui permettent de renflouer les caisses… l’occasion de lancer son nouveau châssis qui va équiper la famille des Type 57.
Voilà, nous y sommes… Les Bugatti Type 57. Bien que la période soit économiquement compliquée, c’est pourtant au salon de Paris 1933 que la marque dévoile celle qui va représenter la vision du luxe, du sport et de la technologie de Jean. En effet, la Type 57 (qui remplace les Type 50 et Type 51), c’est son oeuvre, sa signature. Un châssis, plusieurs empattements, un 8 en ligne de 3287 cm3, pour des puissances qui vont aller de 135 à 220 ch, une fois dopé a compresseur. Pour le reste, c’est une ribambelle de variantes de carrosseries différentes, avec la possibilité de les faire individualiser par les plus grands carrossiers de l’époque. Berlines 4 places en 4 ou 2 portes, cabriolets 2 ou 4 places, version compétition (la Tank), en tout, 685 voitures vont aller rejoindre les garages des plus fortunés de la planète.
Parmi elles, l’apothéose de Jean Bugatti, l’Aérolithe. Un châssis court – N°57331 – habillé d’une carrosserie de coupé surbaissé – Type 57 S – réalisée en Elektron, un alliage d’alu et de magnésium rigide et léger, mais hautement inflammable. Interdisant toute soudure, il va lui donner la particularité d’être composée de deux demies-coques assemblées et rivetées (1200 rivets) par une arête centrale apparente, séparant ainsi le pare-brise et la lunette arrière en deux. Le capot est long, entouré d’ailes profilées, alors que le cockpit est rejeté à l’arrière sur deux roues carénées. Un design aérodynamique et futuriste, mélange de science fiction et de style art déco, tellement tendance à l’époque. Dévoilée au salon de Paris 1935 puis exposé à celui de Londres, le succès de ce prototype est immédiat et mondial… et ne va pas s’arrêter là.
Pendant que le coupé Atalante et le cabriolet Aravis vont se charger de représenter le gros de la production des Type 57 S et SC (Surbaissé et Surbaissé Compressé), Jean va réaliser quatre voitures étroitement basées du proto Aérolithe, les Bugatti Atlantic, nommées ainsi en hommage à Jean Mermoz, premier pilote à traverser l’Atlantique sud en avion. Trois vont être assemblées en 1936 (N°57374, N°57453 et N°57473) et un dernier en 1938 (N°57591).
La première (57374) a été vendue à Victor Rotschild. Après plusieurs propriétaires et allers-retours entre l’Europe et les Etats Unis (où elle passera même quelques années enfermée dans une caisse de transport) et sera entièrement restaurée avant de rejoindre la collection de Peter Mullin.
La deuxième voiture (57453) va être celle de Jean Bugatti. Celle qu’il va appeler « La voiture noire », va disparaitre sans aucune idée de ce qu’aurait pu en faire Jean. L’a t’il vendue ? A t’il essayé de la mettre à l’abri alors que l’Alsace était reprise par les allemands ? On ne le saura pas puisque Jean Bugatti est décédé dans un tragique accident en 1939 alors qu’il avait tout juste 30 ans, emportant avec lui le secret de sa voiture. Sa disparition reste l’un des plus grands mystères de l’histoire de l’auto. Si elle venait à refaire surface, sa côte dépasserait allègement les 100 millions d’€… Avis aux chercheurs de trésors.
La troisième Atlantic (57473) fut livrée à un français, Jacques Holzschuh, en octobre 1936. Il la revendra quelques années plus tard. Son nouveau propriétaire va alors se retrouver coincé sur un passage à niveau et la voiture va être entièrement détruite par le choc avec la locomotive qui arrivait à toute vitesse. Cependant, l’épave va être rachetée et quelques dizaines d’années plus tard, elle va être entièrement reconstruite. Mais il faudra attendre 2008 pour qu’une ultime restauration lui redonne l’authenticité de son origine.
La dernière (57591), assemblée deux ans après les autres, tout le monde la connait puisque c’est celle qui figure en bonne place dans la collection de Ralph Lauren depuis 1988. Pour beaucoup, il s’agit de la plus authentique, puisque depuis sa création, elle n’a subit que peu de modifications, il faut croire que ceux qui s’offraient ces voitures aimaient se les approprier en les personnalisant… comme quoi, ça ne date pas d’aujourd’hui.
Tout comme la célèbre Atlantic « La voiture noire », le concept de Aérolithe a disparu lui aussi durant l’année 1939 sans laisser la moindre trace. Aujourd’hui, les 3 Bugatti Atlantic survivantes sont devenues de véritables icônes motorisées où chacune de leurs sorties est une évènement en soi. A tel point qu’une réplique – réalisée à partir d’un châssis d’une véritable berline Type 57 de 1936 – s’est vendue plus d’1 million de $ il y a quelques années !