Il fut un temps où il était impensable d’être considéré comme un authentique constructeur de voitures de sport si on n’avait pas accroché au moins une victoire aux 24h du Mans ! Une règle incontournable… une sorte de confirmation pour montrer qu’on faisait partie des « grands ». Chez Aston Martin, on a couru après cette victoire 14 fois avant de l’obtenir une seule et unique fois. Et c’était avec la DBR1.
Aston Martin a vu le jour en 1913. La marque va connaitre des débuts difficiles, ponctués de quelques réussites rapidement étouffées par des déboires financiers incessants. Après plusieurs liquidations et rachats, cet équilibre instable va enfin trouver son salut à 1947 quand Aston est rachetée par David Brown, un industriel britannique talentueux et visionnaire. Au même moment, il fait également l’acquisition de Lagonda. Les deux marques vont fusionner et être installées dans une nouvelle usine située à Newport Pagnell.
Avant cela, la marque s’était engagée aux 24h du Mans de 1931 jusqu’à 1934. Mais sans réels coups d’éclat. Il faut dire qu’à l’époque Bentley, forte de 5 victoires dans la Sarthe avec ses monstrueuses 3 litres Sport, Super Sport, 4 1/2 litres et Speed Six, s’est imposée comme la référence des sportives anglaises.
Au sorti de la seconde guerre mondiale, la course d’endurance, qui avait été interrompue, retrouve le calendrier pour l’année 1949. Bien entendu, David Brown aligne l’Aston Martin DB2 sur la ligne de départ. Les années vont s’enchainer, avec à chaque édition, son lot d’évolutions mais surtout d’abandons. 3ème en 51, 2ème en 55 et en 56, les voitures de Newport Pagnell, malgré quelques résultats encourageants, ne réussissent pas à confirmer pour atteindre ce satané objectif de victoire. D’autant plus que pendant ce temps là, c’est Jaguar qui récolte les lauriers, en raflant les victoires en 51 et 53 ainsi qu’avec une magnifique série en 55, 56 et 57 grâce à sa Type D.
Chaque année, Brown assiste à la déroute de ses voitures. Après une DB2 en manque de performance, une DB3 trop lourde et une DB3S bien qu’améliorée et allégée, mais pas suffisamment pour dépasser le niveau des concurrentes, la marque va profiter d’un changement de règlement pour repartir d’une feuille blanche. En effet après le tragique accident de Pierre Levegh en 1955, les organisateurs décident qu’il ne sera plus obligatoire de partir d’une voiture de route pour développer la version course. On assiste, sans le savoir encore, aux balbutiements de l’ère des protos qui, selon eux, permettront de voir courir des engins devenus de plus en plus rapides, mais bénéficiant d’une conception plus pointue et adaptée aux contraintes de l’endurance et des performances en constante augmentation.
C’est David Cutting, nouvellement nommé au poste de concepteur en chef au bureau des projets spéciaux d’Aston Martin, qui va se charger de concevoir cette nouvelle DBR1. Ce n’est un cadeau en soi car il sait que les attentes du « boss » sont plus qu’élevées. Ce sera la victoire ou la porte ! Il commence par concevoir un châssis spaceframe, il s’agit de tubes soudés sous formes géométriques (triangles, rectangles et carrés) permettant d’assurer légèreté et rigidité. Il offre d’ores et déjà une meilleure tenue tout en permettant d’économiser plus de 50 kg par rapport à celui qu’il remplace. Comme les suspensions et les freins à disque Lockheed de la DB3S donnaient toute satisfaction, ils sont repris et adaptés à ce nouveau treillis tubulaire.
Initialement, le moteur prévu était un 6 cylindres en ligne de 2.5l double arbres, accompagné d’une boite DB et monté transversalement pour optimiser la répartition des masses. Il développe 212 ch à 7000 trs et même si la voiture ne fait que 800 kg, cela est trop juste pour aller chercher ses rivales. La saison 1956 de la DBR1 va se limiter à une seule voiture confiée au duo Brooks – Parnell engagée aux 24h du Mans. Manquant de puissance pour suivre le rythme, au 246ème tour, elle abandonne sur problème moteur pendant que Moss et Collins montent sur la 2ème marche du podium au volant d’une DB3S motorisée, elle, par une évolution du 6 en ligne, poussé à 3.0l.
Excédé, Brown nomme alors John Wyer directeur général et Reg Parnell directeur du service compétition. Les ingénieurs vont plancher sur la DBR1 durant tout l’hiver 56 – 57, grapillant une poignée de chevaux au 2.5l par ci, améliorant sa fiabilité par là, pour finir en reprenant les réglages du châssis. La voiture est engagée dans les deux premières courses de la saison où elle va terminer en deuxième place. Les perfs sont là, mais la puissance est toujours trop juste pour faire la différence. Ils décident alors de greffer le bloc 3.0l à la DBR1. La puissance dépasse maintenant les 250 ch pendant que le poids ne bouge pas. Au mois de mai, deux voitures sont sur la ligne de départ du grand prix de Spa et Peter Brooks franchit la ligne d’arrivée à la première place. Il réédite l’exploit aux 1000 Km du Nürburgring et aux 3 heures de Spa. Mais une fois encore, et malgré des performances enfin en nette progression, c’est la fiabilité qui fera défaut aux deux voitures lors des 24h du Mans. Mais pour une fois, les résultats sont encourageants et c’est blindée d’espoir que l’équipe Aston Martin aborde la saison 58, d’autant plus que le règlement est à nouveau revu, interdisant désormais les cylindrées de plus de 3.0l. Les Jaguar Type D deviennent obsolètes.
Pour la saison 58, Aston ne prévoit que trois courses pour sa DBR1. Les 1000 Km du Nürburgring où Moss et Brabham dominent le circuit vallonnés et sinueux de l’Eifel. Mais trois semaines plus tard, dans la Sarthe, on commence par penser que l’équipe anglaise est frappée d’une malédiction. Les trois DBR1 officielles abandonnent et c’est finalement une ancienne DB3S privée, menée par Peter et Graham Whitehead, qui termine deuxième derrière la Ferrari 250 TR58 de Gendebien et Hill. La troisième sortie se fera en septembre au RAC Tourist Trophy qui se court à Goodwood. La course va se solder par un magnifique triplé de la DBR1, mené par l’équipage Moss / Brook, puis Salvadori / Brabham et enfin Shelby / Lewis-Evans. Ajoutez à cela d’autres victoires de Moss dans des courses secondaires comptant pour le championnat et, malgré la déception mancelle, Aston Martin termine la saison à la deuxième place du championnat du Monde derrière Ferrari.
A ce moment là, David Brown décide d’aller s’essayer à la F1. Mais, il laisse une ultime saison à ses ingénieurs et à la DBR1 pour tenter une dernière fois leur chance au Mans. Et pour prouver sa motivation, il fait assembler deux nouvelles voitures, une quatrième pour l’écurie officielle et une cinquième qui rejoindra l’équipe privée des frères Whitehead. La saison débute par une magistrale victoire aux 1000 Km du Nürbrugring. Moss y signe l’une de ses plus impressionnantes courses où il lui aura fallu à chacun de ses relais, remonter le retard accumulé par son équipier Jack Fairman qui était loin d’être dans le coup.
Aux 24h du Mans la stratégie d’Aston Martin est hyper agressive. La voiture de Moss est équipée d’un moteur boosté. On sait pertinemment qu’il ne tiendra pas le choc… mais pendant ce temps là, parti sur les chapeaux de roues en guise de lièvre, Moss entraine dans sa foulée les trois voitures de la Scuderia Ferrari, grandes favorites. Quand le moteur de l’Aston explose au 70ème tour, deux V12 italiens ont déjà rendu l’âme au 41ème et au 63ème tour. Il ne reste plus qu’une Ferrari en course suivie de très loin par les deux autres DBR1 car pendant que l’italienne essayait elle aussi de suivre le rythme des leaders, les anglaises se sont contentées de mener leur course. Ce qui devait arriver arriva, au 129ème tour, la Ferrari 250 TR59 de Dan Gurney et Jean Behra s’arrête au bord de la piste, le V12 vient de lâcher. Derrière, Carroll Shelby et Roy Salvadori s’emparent de la 1ère place, qu’ils ne quitteront plus qu’au drapeau à damier, suivis par la deuxième DBR1 de Maurice Trintignant et Paul Frère. Pour sa 15ème participation aux 24h du Mans, et ce depuis 1931, Aston Martin grimpe enfin sur la première marche du podium. En partie, grâce au sacrifice de Stirling Moss et de Jack Fairman.
Mais pour finir la saison en apothéose, il reste à gravir à la Scuderia le titre au championnat du Monde de voitures de sport. Après les 24h du Mans, les anglaises n’ont plus que 3 points de retard sur les italiennes et il ne reste qu’une seule course au championnat, le RAC Tourist Trophy qui se court cette année encore à Goodwood. Shelby, Fairman et Moss vont s’imposer une nouvelle fois. Trintignant et Frère rapportent les points de la 4ème place. Le salut des anglaises viendra finalement des Porsche 718 RSK qui viendront chiper la 2ème place aux Ferrari qui se contenteront des 3ème et 5ème place. En plus des 24h du Mans, l’Aston Martin DBR1 clôture la saison 59 et sa carrière sportive avec le titre de championne du monde. Brown peut alors se tourner, soulagé, vers la F1… Surement pas la meilleure idée qu’il ait eue ! Mais ceci est une autre histoire.
© RM Sotheby’s via Tim Scott Fluid Images
tres bel article, juste une petite faute de frappe qui ma faire relir la phrase pour la comprendre sur le coup. rien de mechant cependant :p
« il reste à gravir à la Scuderia »
Belle histoire résumé pour une des plus belles autos qui soit, à mon sens!!!