Le sport auto a bien changé. Les missiles modernes, fruits de l’imagination d’ingénieurs ayant rendu les voitures aussi technologiques qu’efficaces, ont sacrifié la grâce et la volupté des lignes sur l’autel de la performance pure et dure. Du coup, s’attarder sur la Maserati 300S, c’est retourner à une époque où les voitures pouvaient gagner mais aussi être belles.

Maserati 300S : Bella macchina ! 1

Dans les années 50, même si la F1 est d’ores et déjà considérée comme la référence, elle ne domine pas encore outrageusement le sport auto. Les autres séries trouvent leurs places dans la plus grande cohérence. Les disciplines sont certes moins nombreuses, les pilotes plus polyvalents et les normes bien moins strictes. Mais tout s’emboite parfaitement. Les pilotes sautent aussi facilement d’une monoplace à une sportive et ne rechignent pas à passer d’un circuit à la route, qu’elle soit goudronnée voir même en terre.

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Depuis ses débuts en compétition, et après un mauvais coup de la part d’Enzo Ferrari, Stirling Moss est abonné aux voitures britanniques avec lesquelles il se targue de coiffer les italiennes ou du moins, de leur donner du fil à retordre dès qu’il le peut. Mais pour gagner en F1, depuis le début du championnat en 1950, il faut une monoplace italienne. Alfa Romeo, Ferrari ou Maserati… Seul Mercedes réussira à mettre un terme à cette hégémonie en 55, mais nous n’en sommes pas encore là.

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En 1953, Alfred Neubauer – le patron du sport auto chez Mercedes – a repéré Stirling Moss. Impressionné par ses résultats à bord de monoplaces plus modestes (HWM, Era ltd, Connaught et Cooper), il suggère à Moss d’acheter une Maserati 250F afin de disputer la saison 54 et renforcer son expérience en F1. En fonction de ses résultats, il aura sa place chez Mercedes. Moss suit le conseil, achète une monoplace au trident qui, malgré un manque flagrant de fiabilité, va lui permettre de devenir la révélation de la saison. Il se permet même de tenir le rythme des voitures officielles et réalise quelques coups d’éclats comme à Monza où, parti de la 3ème place, il réussit à prendre la tête en dépassant Fangio et Ascari, avant que le moteur de sa Maserati rende l’âme à quelques tours de l’arrivée alors qu’il avait course gagnée. Il remporte plusieurs courses hors championnat et comme promis, Neubauer lui propose alors le volant d’une W196 pour la saison suivante.

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C’est en cette même année 1954 que la Maserati 300S va entrer en développement afin de remplacer la Maserati A6GCS. Tout d’abord, il faut un moteur sachant que le règlement autorise désormais les cylindrées de 3.0l, mais les oblige à tourner avec de l’essence ordinaire. Il y avait bien le 6 en ligne de 2.5l qui équipait la 250F, mais face aux Ferrari et autres Jaguar plus copieuses en cylindrées, il s’avérait trop juste en puissance. Les ingénieurs ont bien tenté de lui faire prendre du volume en le passant en 2.8l, le maximum de ses capacités mécaniques. Mais une fois encore, la puissance n’est pas suffisante.

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C’est Vittorio Bellentani qui va alors se charger d’imaginer le nouveau 6 cylindres. Pour cela, il va reprendre le prototype du 2.8l, réaliser un nouveau bloc tout alu, récupérer le vilebrequin pour garder la course de 90mm, tout en augmentant l’alésage à 84mm. Les culasses passent en double arbre à cames en tête et le tout est gavé par un trio de Weber 42 DCO3 qui plus tard, seront remplacés par des 45. On compte également un double allumage et une lubrification par carter sec. Ainsi armé, ce nouveau 6 en ligne développe 245 ch à 6000 trs (260 avec les Weber 45) tout en offrant une fiabilité exemplaire.

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Il faut désormais un châssis. Une fois encore, les ingénieurs de Maserati vont imaginer une structure tubulaire complexe, faite de tubes ovales et ronds de petits diamètres. Reprenant le concept spaceframe (Tubes soudés sous formes géométriques), il permet d’associer légèreté à rigidité. Quelques années plus tard, cette technologie sera poussée à son paroxysme pour donner naissance à la mythique Tipo 6X Birdcage. Les trains roulants avant sont à double triangulation et maintenues par des combinés amortisseurs / ressorts hélicoïdaux. A l’arrière, l’essieu De Dion fait confiance à des amortisseurs hydrauliques avec lames semi-elliptiques transversales. On y retrouve également l’ensemble boite (4 vitesses) – pont pour une architecture transaxle encore originale et rare à l’époque. Enfin aux quatre coins, le freinage fait confiance à des tambours équipés d’ailettes afin d’en optimiser le refroidissement.

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Medardo Fantuzzi va enfin dessiner et réaliser une somptueuse robe faite de tôles d’aluminium. Le capot est long, courbé, lisse et plonge sur une calandre ovale au centre duquel trône le trident de la marque. L’arrière est tendu et nerveux. Les portes à faux sont contenus pendant que les flancs sont aérés grâce à des ouïes à rendre jaloux le premier squale venu. Avec un empattement de 2m31, la 300S reste agile mais vive. A ce propos Stirling Moss témoignait : « La Maserati était belle, si vous la sentiez bien, vous pouviez la piloter en glissades constantes. Dans les lignes droites, vous cherchiez les filles, mais lorsque vous alliez prendre un virage, là il fallait vraiment être concentré ».

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La voiture est prête pour le championnat du Monde 1955. Les trois premières 300S à sortir des ateliers Maserati traversent aussitôt l’Atlantique pour participer aux 12h de Sebring, coup d’envoi de la saison. Légères (780 kg) et agiles, les voitures sont dans le coup, et deux d’entre elles accrocheront les 3ème et 4ème places. Malgré ce premier résultat encourageant, le reste de la saison sera une série de déboires et d’abandons. Le moteur est fiable, mais la boite tient rarement le coup.

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Au terme de la saison 55, alors que l’équipe allemande (marquée par le terrible accident aux 24h du Mans) se retire de la compétition auto, Maserati va s’empresser de récupérer le pilote britannique. Et comme de coutume à l’époque, l’équipe italienne lui confie aussi bien une monoplace 250F pour le championnat du monde de F1 qu’une de ses 300S pour celui des voitures de sport. Avec cette nouvelle saison qui s’annonce, la voiture est légèrement revue. Museau affiné, aéro retravaillée, profil retouché. Histoire d’oublier les mauvais souvenirs de 55, la boite est remplacée et Moss débarque à Modène où il mènera un double calendrier sautant du baquet de la 250F à celui de la 300S.

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Le coup d’envoi de la saison est donné le 29 janvier à Buenos Aires. Première course pour Moss, première victoire en compagnie du pilote argentin Carlos Menditéguy. Le 12 avril, pour les Mille Miglia, Maserati a réservé pour Moss une évolution de la 300S. Son 6 en ligne est passé à 3.5l pour 325 ch, la marque au trident compte lui offrir de quoi renouveler sa victoire de 55. Malheureusement, le pilote britannique sera victime d’une sortie de route tout comme les deux 300S engagées à ses côtés. Le 27 mai, il est de retour au 1000 Km du Nürburgring en 300S en compagnie de Jean Behra, Piero Taruffi et Harry Schell. L’équipe signe son retour sur la première marche du podium.

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Malgré cela, les 3 autres épreuves de la saison verront la victoire des Ferrari 290 MM qui remportent le titre au nez et à la barbe de Maserati. Il n’empêche qu’hors championnat, Moss et la 300S ont fait une razzia ! GP du Venezuela, Australian Tourist Trophy, Nassau Trophy.

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La saison suivante, le règlement a encore évolué, Maserati mise alors ses espoirs sur la bestiale 450S et son V8 de 4.2l. A son volant il va remporter les 6 heures de Kristianstad sur le circuit de Rabelöfsbanan en Suède. Malgré l’armada de 300S, 350S et 450S alignée par le trident, c’est une nouvelle fois Ferrari qui repartira avec le titre 57. Une saison endeuillée aux Mille Miglia par l’accident de la Ferrari d’Alfonso De Portago à Guidizzolo, entraînant avec lui la mort de son copilote Edmund Nelson et celle de neuf personnes, signant aussitôt la dernière édition de cette épreuve devenue trop dangereuse.

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Pour la saison 58 Moss rejoint Aston Martin. Mais ce n’est pas pour autant que cela va signer la fin de l’aventure entre le pilote britannique et le constructeur au trident. En effet, la marque de Modène prépare son nouveau missile, la célèbre Birdcage qui débarquera en 59 au Grand-Prix Delamare Deboutteville sur le circuit de Rouen où pour sa première sortie, elle remportera la victoire aux mains d’un certain Stirling Moss. Mais ceci est une autre histoire…

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Les Maserati furent les premières voitures italiennes que Moss pilota, et la 300S a connu une place particulière dans sa carrière. Il racontait qu’elle était une voiture de course très équilibrée et agréable à piloter. Elle l’a indéniablement marqué, devenant même la voiture au trident avec laquelle il a pris le plus de plaisir à piloter. Lors d’un essai au Castellet en 2017, Gérard Larrousse confirme que la voiture (un exemplaire de 1955) est sécurisante, agréable et étonnamment moderne dans son comportement. Le bémol est mis sur le freinage à tambours, mais l’époque n’était pas la même.

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Seulement 26 voitures sont sorties des ateliers de Modène. Certaines ont ensuite été modifiées, adaptées et transformées en 350S ou 450S. 17 ont survécu, et chacune de leurs sorties est un évènement, rappelant une époque aussi dangereuse qu’enivrante du sport automobile.

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© Hemmings