Ford Capri Zakspeed Turbo Gr.5 : Downsizing, bousculade, et flux d’air !
par Tim | 3 décembre 2020 | Racing |
Il y a des autos de course qui marquent une rupture. C’est-à-dire qu’il y a eu un avant, un après, et qu’entre les deux il y a eu bousculade. La Ford Capri Zakspeed Turbo en fait partie. Ne bougez pas, on sort le monstre de sa cage.
J’en conviens, le titre peut prêter à sourire. Pourquoi diable le mot « downsizing » quand on s’apprête à évoquer le glorieux passé d’une auto qui courra en Gr.5 ? Tout simplement parce que cette Capri Zakspeed sortait des puissances démoniaques d’un moteur qui n’a jamais dépassé 1 750 cm³. En parcourant nos pages, vous aurez compris que l’année 1976 marque un tournant dans le sport automobile. Comme si tous les projets les plus fous étaient enfermés derrière une porte, poussant de toutes leurs forces pour sortir, puis qu’en un instant, on avait tournée la clef dans la serrure, pour que tout soit expulsé d’un coup. Ça s’est matérialisé par le nouveau règlement du Gr.5 de la FIA. De 1976 à 1982, l’objectif était de prélever des voitures sur les chaînes de production, de garder le minimum réglementaire question carrosserie, d’alléger le tout, et d’y mettre le plus de chevaux sous le capot. C’est ainsi que la Ford Capri Zakspeed Turbo a vu le jour avec 600 ch pour 810 kg. Oui, le rapport poids/puissance est juste impressionnant.
Cette catégorie baptisée « Special Production Car » regroupe la plupart des légendes des voitures de circuit des années 70/80, notamment en DRM. Et l’une des monstruosités à 4 roues que tout le monde veut battre, c’est la Porsche 935. Une aérodynamique à couper le souffle, des mécaniques à base de Flat-6 affutées comme des scalpels, la firme de Stuttgart avait mis la barre très haut. Surtout pour Ford. La marque à l’ovale brillait en DRM depuis 1972 avec son Escort qui, à partir de 1977, était dépassée. Il lui fallait une remplaçante.
Ici s’applique la logique que j’appelle « logique de la CIA ». Ça ne vous parle pas ? Je vais vous expliquer. A une certaine époque, la CIA avait une méthode de recrutement très « particulière » pour ses informaticiens. Les heureux élus étaient des informaticiens doués qui avaient réussi à pirater leurs installations. Chez Ford en 1977, c’est la même chose. Depuis 1974, l’écurie privée, Zakspeed, engageait des sportives de la marque, et se payait le luxe d’aller battre les voitures officielles. C’est donc vers le préparateur Allemand que Ford va se tourner pour engager la descendante de l’Escort, la Capri.
Dès son arrivée sur les circuits, cette Capri va sérieusement chambouler les codes. Hormis sa mécanique, c’est surtout sa carrosserie qui a fait sensation. Construite autour d’un cadre tubulaire en aluminium sur lequel on vient greffer les éléments de carrosserie en fibre de verre et kevlar, la Capri est étudiée pour profiter au maximum du flux d’air. C’est Ford Cologne qui développe la bête en soufflerie, et Zakspeed qui s’occupe de la partie technique. En 1980, il lui est même ajouté un énorme aileron arrière et un spoiler avant à faire peur à une lame de tondeuse afin de plaquer encore plus la voiture au sol.
Bien qu’apportant un avantage certain à la Capri, sa carrosserie n’était le seul élément qui la rendait impressionnante. Le reste se passait sous le capot. En version Division 2, 2.0L maximum, son 4 cylindres Ford BDA préparé par Cosworth affichait 1 426 cm³ avec un turbo soufflant à 1,4 Bars pour 480 ch. Un coefficient qui permettait une équité entre atmo et turbo, ramenait sa cylindrée mathématique à 2.0L.
En version Division 1 (plus de 2.0L), le moteur reste le même, mais ce coup ci, avec une cylindrée de 1 750 cm³. Le turbo Garrett AiResearch T04 souffle entre 1.3 et 1.6 bars pour aller chercher les 580 ch à 9000 trs, voire 600 ch durant de courtes périodes. Avec un tel escargot, le coefficient appliqué fait dépasser les 2.0L théoriques au moteur. La Capri gagne donc son ticket d’entrée en DRM, pour aller se mesurer aux autres monstres du Gr.5. Préparé par Cosworth lui aussi, ce bloc est équipé d’une culasse en alliage avec 16 soupapes et double arbre à cames en tête, le tout gavé en essence grâce à une injection mécanique Bosch. Vous avez demandé du rendement ?! Et dire qu’on se plaint du downsizing… Mais tenons compte quand même qu’avec de telles contraintes, un bloc devait tenir à peine une course.
Avec ce pedigree, la Capri avait tout de suite l’air beaucoup moins sympathique. Et sur l’asphalte, elle faisait parler la poudre. Lors de son premier engagement en 1978 à Hockenheim, celle qu’on appelle la « Super Capri » signe une pole position aux mains de Hans Heyer en Division 2. Malgré toutes ses qualités, la Super Capri est peu fiable et ne termine quasiment aucune course de la saison.
En 1979 Zakspeed utilise son moteur 1.7L pour s’engager en Division 1, avec Klaus Ludwig, ancien pilote de chez Porsche qui passe chez Ford-Zakspeed. La voiture est améliorée pour lui avec son fameux aileron, et lors de la saison 1980, le pilote allemand remporte les deux premières courses au nez et à la barbe de son précédent employeur. La Capri est diablement efficace. Tellement efficace que Porsche, resté derrière, entame une procédure pour faire modifier le règlement et interdire de tels appendices aérodynamiques. Pourtant, eux-mêmes s’étaient joués d’une faille réglementaire pour renvoyer leurs phares à l’avant et ainsi introduire leurs fameux flat nose pour un meilleur aérodynamisme… Mauvais joueurs chez Porsche ?
Mais l’égo de la firme de Stuttgart aura raison des victoires remportées par la Capri de Ludwig, qui seront tout bonnement annulées. Erich Zakowski ne manquant pas d’aplomb répondra à Porsche et à la FIA concernant ces modifications d’aérodynamisme « Nous n’en avons pas besoin. Nous gagnerons quand même. »… La Capri Zakspeed menée par Klaus Ludwig remporta les 6 autres manches du championnat DRM de la saison 1980. Erich avait vu juste.
Pour la saison 1981, les Super Capri engagées en DRM dans les divisions 1 et 2 enfoncent le clou. Manfred Winkelhock remporte 6 victoires face aux Porsche 935 en Division 1 quand Ludwig atomise littéralement la Division 2 avec 10 victoires et le titre de champion. 1982 voit baisser le nombre de participants, et la FIA décide d’ouvrir l’épreuve aux prototypes. Les monstres du Gr.5 voient leurs performances vite dépassées. A partir de là les Super Capri vont aller terminer leur carrière dans d’autres championnats. En course de côte, Herbert Stenger rachète le châssis ZAK-G5 C002/79 et remporte le Championnat d’Europe de la Montagne. Par la suite, les Super Capri seront vendues ça et là et on ne les verra ressortir qu’occasionnellement. Aujourd’hui, chacune d’entre elles constitue un évènement qui permet à tous ceux qui ont connu la grande époque du DRM de se rappeler des souvenirs, ou pour les plus jeunes, de découvrir ce monstre. En effet, au-delà de son extrême violence visuelle et mécanique, cette auto a dominé sa discipline mettant fin à l’hégémonie de Porsche. Ainsi, vous ne regarderez plus votre bon vieux 1.4L de la même manière. Si vous ne savez pas quoi en faire, emmenez-le chez Zakspeed !
Car l’officine est toujours en activité. Fondée par le pilote allemand Erich Zakowski en 1968, Zakspeed naît de sa volonté pour préparer des autos afin de courir en GT et en Touring Car. C’est la Ford Escort qui va lui servir de cobaye dans les années 70. Puis, une fois bien chaud, il atteint la consécration avec la Capri, avant de changer de marque pour passer chez BMW, séduit par la M3 E30. En 1985, Zakspeed devient, aux côtés de Ferrari, la seule écurie à s’engager en F1 comme constructeur-motoriste. Malgré tout, les difficultés rencontrées à cause du manque de fiabilité de son moteur, auront raison de ce dernier. En 1989, pour sa monoplace, Zakspeed signe un partenariat avec Yamaha qui devient son motoriste. Mais rien n’y fait, Zakspeed ne connaîtra pas le succès en F1. Se retirant du championnat à l’issue de la saison, Zakspeed s’est concentré depuis, sur son cœur de métier, la préparation et l’engagement de voitures de courses dans différents championnats internationaux. Depuis les années 90, c’est Peter, le fils d’Erich, qui est aux manettes de l’entreprise.
Bon article pour grand morceau d’histoire de la course auto!!!