A force de vous parler de Hot Rod on en oublie l’essentiel, le commencement, histoire de savoir notamment comment tout a commencé. Et comme c’est parti des States, forcément, il existe le king de la Kustom Kulture, j’ai nommé le Deuce, la Ford B de 1932.
On ne peut pas vraiment dire que tout a commencé avec la Ford B, mais presque. En tout cas, si les ‘ricains modifiaient déjà leurs voitures à partir des années 20, l’arrivée de la Ford B en 1932 va permettre de poser les jalons, d’affirmer un style qui se cherchait un peu mais surtout, voir l’arrivée du V8 en lieu et place des 4 et 6 cylindres qui sommeillaient sous les capots. Bon, pas de quoi se taper une java non plus puisque pour le moment, il ne s’agissait « que » d’un Flathead de 221 ci (3,6 l) qui développait péniblement 65 ch à 3400 trs, tout en offrant une fiabilité plutôt aléatoire (ou aller ailleurs… c’est vous qui voyez). Ne riez pas, avec plus de 10 millions de moteurs assemblés, il est encore aujourd’hui le V8 le plus produit au monde puisqu’on le trouvera sous les capots des Ford jusqu’en 1953, berlines, trucks et même tracteurs.
Quoiqu’il en soit, entre 1908 et 1927, Henry Ford va révolutionner le monde de l’auto en écoulant plus de 16,8 millions de sa Ford T, pionnière de la voiture populaire, fabriquée à la chaîne et vendue à grande échelle. En 28, elle sera remplacée par la Ford A qui elle aussi se vendra en seulement 4 ans à plus de 4,8 millions d’exemplaires. Sauf qu’entre 1929 – et ses 1,5 millions de voitures produites – et 1931, les ventes ont été divisées par trois. Ainsi le 29 juillet de la même année, la veille de ses 68 ans et à la surprise de tous, Henry Ford, qui est alors le plus puissant chef d’entreprise du monde, annonce la suspension de la production dans vingt-cinq de ses trente-six. D’une part, ça ne sert à rien de produire une voiture qui ne se vend pas, et d’autre part, il pourra, avec trois de ses meilleurs ingénieurs, se consacrer à sa remplaçante.
Notre homme n’est pas là pour enfiler des perles puisque le 7 décembre 1931, il lance secrètement la mise en production de la nouvelle Ford B avant que la première voiture ne sorte des ateliers de Dearborn le 9 mars 1932. Le 2 avril, jour de sa présentation officielle, ils sont 5 millions d’américains à débarquer dans les concessions Ford à travers tout le pays. 175000 commandes fermes sont enregistrées sur cette première journée.
On appelle ça un succès, d’autant plus que la Ford B a déboulé avec une grosse particularité. A côté de la version classique motorisée par un 4 cylindres en ligne, on retrouve celle qui va s’appeler B18, équipée elle, pour la première fois, d’un V8 Flathead (soupapes latérales orientées vers le haut). Non pas qu‘il s’agisse de la première voiture équipée d’un V8, mais avec elle, Henry Ford veut une nouvelle fois dicter le cours de l’histoire et rendre cette architecture mécanique accessible à tous. Et ça, ça va tout changer. La carrière de la Ford B va durer seulement trois années, avec une petite modification esthétique au niveau de la calandre à partir de 1933, évolution appelée B40 33 et B40 34 en rapport avec leur année de production mais qui verront le V8 passer respectivement à 75 puis 85 ch. La gamme va se développer jusqu’à atteindre une trentaine de variantes, berline, phaéton, pick up, coupé, roadster… et à l’arrivée, elles seront plus de 5 millions de voitures à tomber des chaînes le long de sa courte carrière avant l’arrivée du Model 48.
Du côté des rodders, si la Ford A était déjà la base favorite des jeunes californiens pour faire la course entre deux feux tricolores ou sur des morceaux de lignes droites désertes, la Ford B et son V8 viennent leur offrir une nouvelle excuse pour amplifier le phénomène. Pour être plus rapide, ils allaient commencer à préparer les moteurs, modifier les châssis en les rabaissant et en y collant des jantes et des pneus plus larges, mais aussi en revoyant les carrosseries pour les alléger et les rendre plus aérodynamiques, c’est ainsi que les capots, les ailes, les banquettes arrière, les garde-boue, les pare-brise, les pare-chocs ont commencé à disparaître pendant que le Top Chop (Toit rabaissé), les lignes d’échappement coupées, les side pipe ou encore les louvers allaient faire leur apparition. La Kulture Kustom prenait sa place à coup de Hot Rod où les plus violents dépassaient déjà les 200 km/h.
Cette tendance allait s’amplifier après la guerre. Ford T, A et B ont pris un coup vieux, plus personne n’en veut et elle s’échangent pour une poignée de cacahuètes sur le marché de l’occasion faisant le bonheur des étudiants et des G.I tout juste démobilisés. Le hotrodding s’intensifie, des magazines lui sont consacré, des professionnels de la préparation proposent des kits de plus en plus performants et des courses en lignes droites voient le jour dans tout le pays, souvent organisées par des associations spécialisées… Sans le savoir, on assiste à la naissance de ce qui va devenir le Dragster. En parallèle, certains adeptes, plus attirés par le côté esthétique plutôt que par la performance pure, préfèrent s’orienter vers l’optimisation du look de leurs machines, même si la plupart du temps, ils collent à leur monture un bon V8 plein comme un œuf. Pour le coup, ils vont lancer la mode du Street Rod, celle des rassemblements, du cruising… mais aussi des courses illégales qui feront à leur façon, partie de cette Kulture. Car même avec un beau Hot Rod, le seul moyen de se différencier, c’est d’être devant les autres ou de laisser une grosse trace de pneus sur le bitume après un burn endiablé.
Nous v’là arrivés au milieu des années 50, le phénomène Hot Rod commence doucement à s’estomper, pour presque s’arrêter dans la première moitié des 60’s et ce, pour trois raisons. D’abord, l’arrivée des Muscle Car et Pony Car, ces berlines surmotorisées et compactes plus affûtées deviennent alors les stars des lignes droites. Plus modernes, plus performantes, elles rendent les Hot Rod ringards. Ensuite, il est devenu difficile de trouver des anciennes berlines pré-1949 qui servaient de base, la plupart sont accidentées, abandonnées voire même détruites. La dure loi de la nature « automobilesque » où quand t’es plus à la mode, tu disparais en espérant devenir collector un jour, et ainsi, briller à nouveau de mille feux sous les projecteurs. Enfin, le Hot Rod a lancé une autre mode, celle du Custom. La recette est presque la même sauf qu’elle se fait sur des berlines et coupés aux formes plus arrondies et modernes. ‘Fin voyez, les modes et les tendances changent…
Mais une poignée de nostalgiques – sûrement fans des Beach Boys – va réussir à les faire perdurer et convaincre des spécialistes qui vont se mettre à fabriquer des répliques de coques mis à part qu’au passage, elle ont troqué leur bon vieil acier pour du polyester. Peu importe le flacon… Ces caisses sont ensuite posées sur des châssis poutres, parfois même réalisés sur mesure, maintenus par des trains roulants modernes. Autres avantage, les V8 aussi n’ont plus rien à voir avec leurs ancêtres. Bien actuels, ils sont maintenant gavés de chevaux et de couple. Doucement mais sûrement, les Hot Rod vont refaire surface, plus pros, mieux finis, mais aussi plus puissants et performants. A partir des 70’s, le phénomène repart méchamment à la hausse, bien aidé par un certain John Milner au volant de sa Ford 32 jaune avec laquelle il va mettre la fessée à un Bob Falfa et à sa Chevy 150 de 55. « American Graffiti » rend le Deuce tendance. Les choses vont alors s’accélérer, les spécialistes qui œuvrent dans le milieu depuis quelques années commencent à sortir de l’ombre pour se faire un nom dans le milieu et proposer des Hot Rods clé en main. Boyd Coddington, Vic Edelbrock, Roy Brizio, Bill Burke, ou la légende Ed Roth formeront ou du moins inspireront les Chip Foose, Dave Kindig, Aaron Kaufman, Rick Dore ou encore Ian Roussel, les spécialistes d’aujourd’hui. Le Hot Rod devient la voiture des bad boys, des rebelles et… des stars qui vont s’y mettre. Outre les Beach Boys, on retrouve maintenant Billy Gibbons des ZZ Top et sa célèbre Ford B40 33 Eliminator, ou encore le tandem populaire Frankie Avalon et Annette Funicello. Dans les 80’s le Hot Rod devient une institution qui n’a cessé de prendre de l’ampleur, au côté du Custom, chacun trouvant sa place. D’ailleurs de nos jours, une spécialiste de Hot Rod l’est forcément dans le Custom.
Aujourd’hui, le phénomène a gagné définitivement ses lettres de noblesses quand les constructeurs ont commencé à s’en inspirer comme la Chrysler PT Cruiser, le Plymouth Prowler ou les Chevrolet SSR et HHR. Et chez Ford ? Et bien sachez que depuis 2014, soucieux de ses fans et conscient de son patrimoine, on a décidé de refabriquer des caisses et châssis de Ford 32, avec les technologies modernes mais tout en respectant le dessin de l’époque. Oui, aux USA, vous pouvez vous pointer dans n’importe quelle concession Ford et passer commande d’une Ford 32 neuve. Donc si la Kustom Kulture est désormais élevée au même rang qu’une religion, le Ford 32 en est le Pape. Amen !
Dans la Kulture Kustom, le Ford 32 est surnommé The Deuce. Les Beach Boys l’ont même démocratisé en 1963 avec leur album « Little Deuce Coupe ». Dix ans plus tard, Georges Lucas le faisait rentrer dans la postérité en en faisant l’une des stars de son « American Graffiti ». Et alors que vous vous imaginez une histoire rocambolesque et audacieuse permettant digne d’un scénario Hollywoodien afin de vous expliquer les origines de ce surnom qui de loin signifie « Le Diable »… je risque de vous décevoir car en fait, il n’en est rien. Pas d’explication capillotractée, juste le fait que la Ford B étant sortie en 1932, on l’a alors appelée The Deuce en référence au deux de son année de naissance. Comprenez juste par là qui si elle était sortie en 31, on l’aurait sûrement surnommée The Once… mais comme c’est en 32, et bien ce sera The Deuce. Ouais, ça casse des mythes, comme quoi parfois, mieux vaut ne pas savoir !
Le double 2 en fait le Deuce du 32 de l’année et le fait que le modèle B viennent logiquement après le A.
Henry Ford II était bien surnommé le Deuce lui aussi (du moins dans le Mans 66), double jeu de mot également???