Parfois, les constructeurs français ont de bonnes idées. Histoire de, ils en font un prototype, le montrent de partout et… voilà l’histoire est finie ! Proto tu es, proto tu resteras. La liste est longue, et on y retrouve ce shooting brake Long Cours signé Heuliez sur base de Renault Safrane Biturbo… Père motor, t’es dans l’coin ?
Citroën XM, Peugeot 605 et Renault Safrane… Voilà, le programme des haut-de-gamme français pour le début des 90’s. Niveau sport, la seule chose qu’elles vous proposent c’est la file de gauche de l’autoroute. Les V6 ont du couple, flirtent avec les 200 ch, mais offrent autant de caractère qu’un chaton de 3 jours ! On est loin des allemandes gavées aux 6 en ligne ou aux V8 de plus de 300 ch. Dépassées et devenues ringardes, les grosses berlines tricolores n’ont rien d’excitant et même si leurs châssis encaissent, ils ne sont pas faits pour se la jouer spéciale de rallye. Non, leur truc, c’est le confort… basta.
Avec ce paysage digne d’une soirée Scrabble dans un EHPAD confiné, Renault va alors jeter un pavé dans le potage, et lancer en 1993 une Safrane totalement dévergondée, la Biturbo. Oui, il faut croire que cette image de berline populaire et anémique a frustré l’état major du losange. A Boulogne-Billancourt, c’est sans complexe qu’on décide d’aller chercher les allemandes sur leur propre terrain, d’autant plus qu’à l’époque, le V10 de F1 enfile les titres comme des perles. Enfin, ne rêvons pas, pour sa biturbo, Renault n’a pas eu d’autre choix que de ressortir l’éternel PRV.
En fait, des Safrane V6 RXE Quadra étaient prélevées une fois sorties des lignes de montage. Le moteur prenait alors la direction des ateliers Hartge à Beckingen pendant que la voiture partait à Remshalden chez Irmscher. Le premier se chargeait d’y greffer un duo de turbos pendant que le second s’occupait d’équiper la carrosserie d’un kit complet, d’adapter l’habitacle à l’une des trois finitions proposées (RXE, Ellipse et Baccara), de modifier le châssis et d’y coller les jantes en 17″ avant d’y greffer le moteur une fois revenu de Beckingen. D’ailleurs niveau look, faut reconnaitre qu’ils ont fait un super taff en réussissant à rendre sexy la roturière Safrane !
En parlant du PRV, il a pris cher… Après Venturi et Alpine, il se fait siffler dans les conduits par deux KKK qui soufflent à 0,5 bars, et chaque escargot est accompagné de son échangeur air/air. Au final l’éternel PRV est shooté pour développer seulement 268 ch à 5500 trs et 37 Mkg de couple à 2500 trs. Oui, j’ai écrit seulement car Hartge a été obligé de brider le gazier mais aussi de travailler sur l’arrivée du couple, car la boite 5 manuelle et la transmission Quadra peinaient à encaisser la charge. Ajoutez un poids de 1800 kg, et vous comprendrez que la Safrane Biturbo est plus souveraine sur la file de gauche de l’autoroute que dans une spéciale du Monte Carlo ! Au niveau des chronos, avec un 0 à 100 en 7,2 secondes, le 400 m en 15′ et un 1000 m shooté en 27,7 ça remue la tôle même s’il n’y a pas de quoi se la jouer king du parking, tout juste être devant une R21 2l Turbo. Et encore, un coup de pschit et elle vous montre ses fesses.
Par contre, niveau motricité, même si la Safrane n’a rien d’une ballerine, ses 4 roues motrices vont en faire une des références en terme de tenue de route… Attention, une fois encore, je n’ai pas dit sportive. Grâce à sa suspension pneumatique pilotée électroniquement selon trois modes gérant la fermeté et la hauteur, elle passe ses watts au sol et les fait y rester, du moins jusqu’au moment où le poids prend le dessus. Rien d’excitant, mais niveau sécu, ça fait le job.
J’aurai pu poser le point final. Mais voilà, celle qui nous intéresse aujourd’hui, elle est née au salon de Genève en 1993. Alors qu’il déambule à travers les différents hall, Patrick Le Quément – le directeur du design de Renault – tombe sur un croquis affiché chez Heuliez. Il représente un break Safrane aux lignes si originales, que Le Quément demande aussitôt à Gérard Quéveau – le directeur d’Heuliez – de lui donner vie. Quelques jours plus tard, une Safrane Biturbo boitoto est livrée à Cerizay. L’équipe du carrossier se met alors au taff, afin de créer la Long Cours, sorte de mélange entre l’habitabilité d’un break et la fluidité d’un Shooting Brake, combinées au confort et au luxe d’une berline premium.
Une fois terminée Heuliez dévoile la voiture sur son stand au Mondial de l’auto d’octobre 94. Le résultat est… séduisant mais particulier dans ses proportions. C’est bien fait, c’est séduisant, aéro… tout c’que vous voulez, mais on a quand même bien l’impression que le cul et l’avant ne vont pas forcément ensemble. Dans l’habitacle, les quatre passagers, confortablement installés dans des baquets individuels tendus de cuir bleu, peuvent admirer les nuages à travers le toit panoramique entièrement vitré. Grâce à ce Long Cours, Heuliez montre surtout l’étendue de ses talents.
L’anecdote à retenir, c’est lorsque Jacques Calvet – alors président de PSA – et sa femme ont visité le stand d’Heuliez, cette dernière s’est tournée vers son mari en lui disant, devant les journalistes et photographes : « Jacques, c’est exactement la voiture qu’il nous faut, nous devons absolument en commander une. » Je vous laisse imaginer le désarroi de son mari et de ses collaborateurs, qui ont du faire preuve d’une discrétion gênée et expliquer à Mme Calvet qu’il s’agissait d’une Renault, et non d’une Peugeot 605 ou d’un Citroën XM… Allez, une soupe, un suppo et au lit !
Sachez que cette Safrane Biturbo Long Cours a été vendue et… immatriculée. Oui, elle était soigneusement rangée dans un hangar jusqu’en juillet 2012 où Heuliez a décidé de se séparer d’une partie de ses réalisations, pour la plupart des protos et études de styles 100% finalisés et utilisables. C’était lors d’une vente Artcurial. Depuis, un heureux (?) propriétaire roule en Safrane Biturbo Long Cours unique… Vous croyez que c’est Mme Calvet ?!