Dites-vous qu’une BMW E9 3.0 CSL de série développait 206 ch dans sa version la plus puissante. Imaginez donc que sa version « très énervée » envoyait sur le bitume quasiment 4 fois plus de chevaux en furie. Ça laisse pantois. Mais comment en est-on arrivé à de telles puissances il y a 45 ans ?

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S’il est un monstre qui marque encore les esprits des grands et des petits, c’est la BMW 3.2 CSL Turbo Groupe 5. Des voies sur-élargies, un aileron à faire pâlir une Dodge Charger Daytona, et des hurlements à faire pleurer une Porsche Carrera GT. La CSL Turbo, dans les années 70, c’était tout cela. Et cette version expérimentale de plus de 750 ch fut, en plus du reste, une œuvre d’art.

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Mais revenons en arrière. En 1976, la FIA modifie le règlement du Groupe 5. Pour la 4ème génération de cette catégorie désormais appelée « voitures de production spéciales », les instances imposent désormais de prélever des exemplaires sur les chaînes de production. Le but premier est de prendre pour base des modèles de série. La contrainte après ça, c’est de conserver la largeur de la carrosserie. Capot, toit, portières et d’autres panneaux ne changent donc pas. A partir de là, ailerons, spoilers et extensions d’ailes sont autorisés. Enfin, on donne aux ingénieurs un budget, afin que leur imagination fasse le reste. C’est la raison pour laquelle cette nouvelle catégorie a été surnommée « Silhouette » car au final, c’est tout ce qu’il reste de la voiture de production donneuse.

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A l’époque, BMW court avec sa 3.0 CSL dans différents championnats. L’ennemi s’appelle Porsche. 935 de son prénom. Elle adopte un Flat 6 turbo ou biturbo qui permet d’aller chercher 600 ch. Problème, la CSL (pour Coupé Sport Lightweight, ou Coupé Sport Léger) arrive en fin de carrière. Le 6 en ligne devenu 3.5 atmosphérique avec ses 480 ch connaît les limites de son évolution et de sa fiabilité. La 935 énerve BMW, mais le constructeur est déjà engagé dans de nombreux projets, dont le développement de la nouvelle 320i Groupe 5. Malgré un agenda bien rempli, BMW décide de faire manger de l’escargot à sa CSL afin d’aller montrer à Porsche que c’est en Bavière qu’on sait faire des sportives. Vu que les ingénieurs maison planchent sur le 4 cylindres qui allait donner des ailes à la descendante de la CSL, c’est Joseph Schnitzer, un indépendant, qui est missionné pour donner un second souffle au vaillant coupé en fin de carrière.

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Le M49/3 dans sa version 3.5L est donc à sa limite. Les problèmes de circulation d’huile sont légion suite aux réalésages successifs du bloc d’origine qui cubait 2.8L. Incliné à 30°, la lubrification du haut moteur côté admission est problématique. Greffer un turbo dans ces conditions conduirait à un bloc à la fiabilité plus que limitée. Un peu comme si au 39ème kilomètre de votre marathon, on vous donnait une boisson énergisante, et qu’on vous faisait repartir pour un tour ! Schnitzer va donc opter pour une double solution, redresser le moteur et réduire la cylindrée. Les problèmes d’huile seront ainsi résolus. Le moteur chute à 3.2L pour la fiabilité, et se voit adjoindre non pas un, mais deux turbocompresseurs KKK qui vont souffler à 1,3 Bars. La circulation d’huile et de liquide de refroidissement est optimisée pour permettre à cette véritable pompe à feu de ne pas exploser au premier virage. Avec le moteur en position verticale, les échangeurs, le travail sur les collecteurs d’échappement et les deux turbos, le capot est déjà bien rempli ! La partie refroidissement est donc envoyée dans le coffre. On passe de 480 à près de 750 ch bridés dans cette configuration. En fin de saison, la voiture accrochera même les 800 ch !

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La puissance c’est bien, mais pouvoir l’exploiter, c’est mieux. Le principal problème qu’essuiera la nouvelle E9 Turbo, c’est la boîte de vitesses. Faute d’une boîte qui puisse encaisser la puissance du 6 en ligne turbo en 1976, il faut se contenter de la ZF qui équipe les versions atmosphériques, et essayer de la renforcer. Ce sera son talon d’Achille. Et quand ce n’est pas la boite qui casse, c’est la transmission qui lâche. Un vrai dragster cette Batmobile ! Et ce n’est pas la monte pneumatique en 12 x 16″ devant et 14×19″ derrière qui nous fera dire le contraire.

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On vient de l’évoquer, les E9 CSL de compétition, de par leur look qu’on croirait tout droit sorti d’une BD, portaient le surnom évocateur de « Batmobile ». Avec tous ses appendices aérodynamiques, cette pistarde ne fait pas rire. D’autant plus que tout est pensé et travaillé pour favoriser le travail du flux d’air, le diriger jusqu’aux radiateurs grâce aux marchepieds, plaquer l’arrière au sol avec l’aileron, alimenter le moteur en air frais grâce à la face avant. Tout, vraiment tout, est orienté efficacité. On avait déjà évoqué que les voitures de courses peuvent être belles et gagner ! D’ailleurs cette CSL Turbo deviendra une réelle œuvre d’art puisqu’elle recevra une décoration « ArtCar » signée de l’artiste américain Franck Stella. Chère à BMW, cette collaboration pour la décoration des 24h du Mans a été inaugurée en 1975, à l’initiative d’Hervé Poulain, sur une 3.0 CSL atmosphérique. Pour 1976, le design adopté par l’un des leaders du mouvement minimaliste évoque la technicité du sport automobile et donne l’impression que la voiture sort littéralement de la planche de l’ingénieur. Si c’est ça l’art moderne, je signe tout de suite !

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Avec un tel pedigree, BMW avait là une arme qui pouvait détrôner la Porsche 935… Ou pas ! Moins bien équilibrée que cette dernière (56% à l’avant et 44% des masses à l’arrière), la 3.2L CSL Turbo souffre également d’un temps de réponse des turbos (Turbo Lag) plus important. Dès sa première course à Silverstone, elle est derrière la 935 de Jacky Ickx. Alors que l’embrayage de la Porsche n’a pas supporté la manœuvre de départ, la BMW est emmenée à un rythme d’enfer par un Ronnie Peterson qui se bat pour maîtriser les 750 ch du monstre. Au 14ème tour la boite déclare forfait. A défaut de finir la course, la CSL a assuré le spectacle ! Lors des 24h du Mans avec Brian Redman au volant, l’engin pointe à 341 km/h dans les Hunaudières ce qui, en 1976, est loin d’être ridicule. Malheureusement une fuite d’huile contraint la team une nouvelle fois à l’abandon. Pour son dernier engagement aux 6 Heures de Dijon, Ronnie Peterson signe une pole position devant Ickx et sa 935. Cette fois l’équipe a retenu la leçon et renforcé la boîte de vitesses. Mais ce coup-ci, c’est le reste de la transmission qui va lâcher au bout de 33 tours de duel acharné entre le Belge et le Suédois. Pas de chance et BMW arrête les frais…

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La CSL Turbo ArtCar est la voiture de course, mais une deuxième CSL de la chaîne BMW avait rejoint les ateliers de Schnitzer Motorsport. Elle a servi de voiture de développement pour l’écurie, et est rendue à BMW qui la confie à un pilote amateur, Bepp Meyer. A son volant, il va participer au championnat d’Allemagne avant de vendre la voiture à Alf Gebhardt en 1979. Elle traverse l’Atlantique avec son nouveau propriétaire et participe à la saison IMSA de la même année sous les couleurs de la Bavarian Motor International. Elle courra jusqu’en 1981 mais avec une différence majeure par rapport à la voiture du Mans. Elle est bien équipée d’un moteur vertical, mais en version atmosphérique, la carrosserie n’a pas les mêmes extensions d’ailes, et pas de marche pieds.

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Suite aux 6 Heures de Dijon, la 3.2 CSL Turbo va rejoindre le musée BMW pour en devenir l’une des pièces majeures. Elle reste aujourd’hui la représentante d’une voiture qui avait le cul entre deux chaises. Fin de carrière d’une légende, mais arrivée alors que sa descendante était déjà dans les tuyaux. Elle aurait sûrement mérité une carrière plus longue, une victoire, mais le sport automobile est ainsi. Elle est la preuve d’un autre duel de constructeurs à une époque où les voitures de courses étaient de véritables purs sangs que seuls les pilotes les plus casse-cou pouvaient contrôler. En 2010 la CSL Turbo est présente au Mans Classic dans le cadre de l’exposition des ArtCars de BMW. Une des très rares occasions d’admirer ce monstre en dehors de sa cage…

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Et avant de vous quitter, on va vous donner une nouvelle occasion de faire taire ce fameux beau-frère qui croit tout savoir ! Schnitzer Motosports est fondée en 1967 par les frères Joseph et Herbert Schnitzer à Freilassing en Bavière. C’est une écurie de course qui engage des BMW en championnats, dont le DTM (Deutsche Tourenwagen Meistershaft) et le WTCC (World Touring Car Championship). Joseph décède d’un accident en 1978, et en 1987, Herbert fonde avec Willy Kohl «  AC Schnitzer » à Aix-La-Chapelle (Aachen). Bien que les deux entités aient des racines communes, AC Schnitzer est un préparateur BMW et Mini. Bien qu’appartenant au même groupe, les deux entreprises sont gérées de manière totalement indépendante. Alors, merci qui ?!

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