Peugeot 405 T16 Pikes Peak : Au sommet !
par Rémi | 27 février 2021 | Racing |
Coluche disait : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne les achètent plus pour que ça ne se vende pas… ». Oui, ça se défend. Et bien si on creuse un peu l’idée, on s’aperçoit vite qu’il suffit que les gens aient envie de les acheter pour que ça se vende bien ! Du coup, pour donner envie au consommateur d’acheter une voiture, c’est bien de le faire rêver ! Eh bien voilà la raison d’être de la 405 T16.
C’est exactement ce qu’on s’est dit chez Peugeot Sport en 1987. Après la disparition précipitée du groupe B, la marque française cherche une nouvelle scène pour faire briller la 205. Le succès de la T16 en rallye a déjà bien aidé aux ventes de la routière, et il n’est pas question de s’arrêter en si bon chemin. Les ingénieurs se sont déjà pas mal creusés la tête pour imaginer une version Groupe S de la 205, et plusieurs évolutions sont déjà dans les tiroirs. Le choix sera double. Celui d’envoyer la petite compacte sur deux fronts à la fois avec d’un côté le Paris-Dakar et d’un autre la montée de Pikes Peak. Cette course de côte célèbre du Colorado consiste en quasiment vingt kilomètres de route en terre poussiéreuse et glissante. Avec un dénivelé de 1440 mètres, son surnom de « Course vers les nuages » en dit long… Remporter la victoire à Pikes Peak serait une superbe vitrine pour Peugeot. Seulement voilà, il y a un problème. Un problème à quatre anneaux. Ils sont chiants ces allemands… Audi est déjà présent à Pikes Peak depuis quelques années et détient le record de la montée grâce à la performance de Bobby Unser au volant de l’Audi Quattro l’année précédente. 11 min 09 s 220, c’est ce qu’il faut viser pour espérer établir un nouveau temps de référence. Mais le constructeur d’Ingolstadt tient à sa couronne. Flairant dans doute le danger, on envoit Walter Röhrl prendre les commandes de la Quattro cette année là pour protéger le titre de la gourmandise des lionnes.
Mis à part des ennuis mécaniques du côté du turbo, qui n’aideront pas les Peugeot à jouer la victoire, la 205 a un problème de taille. Je veux dire, littéralement. Je m’explique : là où sur les spéciales de rallye, son empattement court lui confère un bel avantage en agilité, notamment sur la Quattro et son sous-virage chronique, sur la montée de Pikes Peak, cet empattement court engendre un manque de stabilité qui la pénalise. La victoire échappe au constructeur français. Au volant de son monstre à cinq pattes, Röhrl domine les Peugeot et fait tomber le record de la montée sous les onze minutes. 10 min 47 s 850, c’est le nouveau temps à battre. Le problème des ingénieurs, c’est que si on rallonge le châssis de la 205 pour augmenter son empattement, la carrosserie ne tient plus dessus. On peut bien bricoler un peu pour que ça rentre, mais ça ne ressemble vraiment plus à rien, du moins plus à une 205. On décide finalement d’abandonner le coup de pub pour la cotadine, et d’en faire profiter la toute nouvelle 405. Certes, il faut là aussi aménager un peu en terme de carrosserie, mais ce coup-ci, après avoir habillé le châssis en acier d’une peau de carbone et Kevlar, on n’obtient pas une citadine rallongée aux proportions douteuses, mais un coupé ramassé aux lignes agressives. La 405 T16 est née. Elle remplacera également la 205 sur le Paris-Dakar en 89. Visuellement, cette version coupé est très réussie, on peut vraiment regretter qu’un modèle de route n’ai jamais vu le jour.
Mécaniquement, le coupé de course reprend en grande partie la mécanique de la 205 T16, dont son moteur XU 9T. Ce 4 cylindres tout en aluminium dérive du XU 8T présent sur la 205 T16 Groupe B. Toujours équipé de deux arbres à cames en tête et de 16 soupapes, sa cylindrée grimpe à 1905 cm3 grâce à une course majorée de 6mm. Il est suralimenté par un turbo Garrett à géométrie variable qui lui bourre 2 bars supplémentaires dans l’admission, bien aidé dans sa tâche par un intercooler refroidi par pulvérisation d’eau. Le moteur profite également d’une admission à 8 conduits (4 longs et 4 courts) pour maximiser le remplissage à tous les régimes, et pour finir, le DPV (Dispositif de Pré-rotation Variable) se charge de maintenir le turbo en charge pour qu’il ne mette pas une semaine à répondre à la reprise des gaz. Ainsi armée, la 405 T16 est capable de produire environ 600 chevaux. Tout du moins, officiellement… Comme souvent avec les autos de course, difficile de savoir dans quelle mesure on peut faire confiance aux chiffres. L’information intéresse toujours la concurrence, et Vatanen aurait laissé entendre lors de certaines interviews que la T16 produisait bien plus que ça… Mais chut, c’est un secret ! Et mine de rien, à Pikes Peak , la puissance est importante, parce que rappelez-vous qu’avec un dénivelé colossal de presque 1500 m, vous perdez les chevaux par paquet de douze au fur et à mesure que vous grimpez et que l’oxygène se raréfie. Quoi qu’il en soit, avec 950 kilos à emmener, ne serait-ce qu’en terme de rapport poids/puissance, la T16 est vraiment bien lotie. D’ailleurs, avec sa panoplie aérodynamique digne d’un chasseur TIE de Star Wars, quand vous la regardez, vous comprenez rapidement qu’elle n’est pas là pour amuser la galerie.
Bien entendu sur un parcours à deux surfaces comme Pikes Peak, les quatre roues motrices sont de la partie. Un visco-coupleur réparti la puissance à hauteur de 67% sur le postérieur. Mais elle inaugure également un système imaginé pour la descendance de la 205 en Groupe S : les quatre roues directrices. Partant de la crémaillère avant, un arbre transmet les mouvements du volant jusqu’aux roues arrières. Grâce à un système que je ne détaillerai pas (essentiellement parce que je n’y ai pas compris grand-chose…), les roues arrières braquent dans le même sens que l’avant sur les faibles angles de braquage. Vous profitez ainsi d’une meilleure stabilité dans les grandes courbes abordées à haute vitesse. Ce qui n’est pas un luxe à Pikes Peak vu le précipice qui vous guette. Ça vous évitera peut-être le grand saut vers un énorme fracassage de tronche. Pour les grands angles de braquage en revanche, le train arrière se met à braquer dans le sens inverse, ce qui augmente considérablement l’agilité de l’auto. Le beurre et l’argent du beurre ! Enfin en théorie, parce que dans la pratique, il faut apprivoiser le système sous peine de voir la 405 sous-virer comme une grosse vache si vous ne braquez pas assez. Toujours est-il que manifestement, ça n’a pas posé de problème particulier à Ari Vatanen…
Nous sommes le 4 juillet 1988. En ce jour de fête nationale, le pilote finlandais est chaud comme la braise. Après avoir remporté le Paris-Dakar l’année précédente au volant d’une 205 T16 « Grand Raid », il est bien décidé à ajouter la victoire de Pikes Peak à son palmarès. Les essais ont été très encourageants, la 405 T16 est très rapide et tient toutes ses promesses. Seulement voilà, la grêle s’invite sur le parcours et recouvre la piste, déjà pas vraiment généreuse en adhérence, d’une couche de grêlons qui ne rassure pas grand monde. Mais il en faut plus pour effrayer Ari Vatanen. Celui-ci saute dans le baquet de la 405, s’élance pour un run endiablé et parvient à rejoindre le sommet en 10 min 47 s 220. Le finlandais vient de battre le record de Walter Röhrl de seulement soixante trois centièmes ! Cette montée va finir d’entrer dans la légende grâce à Jean Louis Mourey, qui réalisera en 1989 le court métrage « Climb Dance », qui met en scène l’exploit du finlandais et de Peugeot. Plusieurs fois primé, on peut y admirer, pendant un peu plus de cinq minutes, la 405 dansant sur ses quatre roues, et qui dévore les virages les uns après les autres dans un nuage de poussière. Le passage le plus mythique de tous étant sans aucun doute l’instant où Ari Vatanen, sortant d’un virage à gauche, se retrouve ébloui par la lumière rasante du Soleil. Le pilote lâche alors le volant d’une main qu’il lève pour protéger ses yeux sans pour autant, vous l’imaginez bien, lever le pied. Il le dit d’ailleurs très bien lui-même : « Dans la vie, tu peux lever le bras, mais pas le pied. Toujours à fond. »
La 405 aura donc brillé de tout son éclat lors de cette édition 1988 du Pikes Peak International Hill Climb. Elle remettra le couvert en 1989 en remportant une deuxième fois la course vers les nuages, cette fois-ci aux mains de Robby Unser, mais sans parvenir à améliorer le temps de Vatanen. À la suite de ces deux victoires retentissantes, Peugeot se désintéressera malheureusement de Pikes Peak, préférant se concentrer sur l’endurance. L’objectif affiché est clairement de gagner Le Mans, ce qui donnera naissance à la superbe 905, et effectivement à la victoire de la marque aux 24h en 1992. Mais alors, la 405 T16, c’est fini ? Pas tout à fait. Pour ajouter encore un peu à son tableau de chasse, cette fois-ci en version « Grand Raid », la 405 T16 se paiera une double victoire au Paris-Dakar en 1989 et 1990. La 405 T16 démontrera ainsi qu’elle sait aussi assurer sur la durée et n’est pas qu’une machine de sprint. Et devinez qui est derrière le volant ? Et oui, c’est encore Ari… un ami qui veut du bien à Peugeot car entre ces deux là, c’est une vraie histoire d’amour ! Et je laisserai d’ailleurs au finlandais le mot de la fin : « Je peux comprendre le plaisir d’un excellent joueur de violon si on lui donne un Stradivarius. Pour moi, cette voiture de Pikes Peak, c’est mon Stradivarius… »
Peugeot et Pikes Peak, ça ne s’est pas terminé comme cela. En 2013, les français sont de retour dans le Colorado avec de nouveau une voiture extraordinaire, et un pilote légendaire. Au volant de la Peugeot 208 T16 Pikes Peak, et sur un tracé entièrement asphalté, Sébastien Loeb va offrir à Peugeot sa troisième victoire et un nouveau record. La 208 T16 Pikes Peak n’a rien, mais alors rien d’une 208. À part le nom et une carrosserie en carbone qui imite autant que faire se peut la compacte Peugeot, ce monstrueux prototype est en fait un châssis tubulaire acier motorisé par un V6 3.2L biturbo en position centrale arrière. Le « T16 » n’est donc là que pour faire un clin d’œil à son aînée 405, d’ailleurs les premiers essais de la 208 se feront sur les routes du Ventoux, aux côtés de son illustre grand-mère. La 208 développe la puissance colossale de 875 chevaux pour un poids réduit à 875 kilos. 1kg/ch, ça c’est violent ! Vous inquiétez pas pour les reprises, avec 880 Nm, ça devrait repartir. La transmission se fait aux quatre roues par une boîte séquentielle à palettes, et la panoplie aérodynamique est pour le moins extrême. L’aileron arrière vient d’ailleurs directement de la 908 du Mans. Pour illustrer un peu mon propos, cette 208 infernale efface la barrière des 100 km/h en 1.8 s, prend 200 km/h en 4.8 s, et tape le fond de sixième à 240 km/h en 7 s. Et quoi de mieux pour illustrer ses performances que son chrono final ? Avec 8 min 13 s 878, Sébastien Loeb établit un nouveau temps de référence sur piste asphalte. Le pilote Alsacien se permet même de faire mentir le simulateur Peugeot, qui calculait que le meilleur temps théorique réalisable était de 8 min 15… Ça en dit long sur la performance. Loeb sera tellement séduit par la voiture qu’il la rachètera à Peugeot en 2017. Son record tiendra cinq ans, avant que Volkswagen et Romain Dumas tombent pour la première fois la barre des 8 min avec la redoutable ID.R carburant aux électrons…
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Le mythe