Imaginez une bagnole qui s’appelle Chrysler Turbine… c’est pas pour faire joli. Une caisse qui prend 22 000 tours au ralenti, qui tourne peu importe ce qu’on lui met dans le réservoir, et qui ne nécessite pas d’entretien. Succès interplanétaire ou dossier au fond du casier ?!

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On va pas se mentir, force est de constater qu’on est plus au fond du casier que star des concess’. Parce que la Chrysler Turbine, y’en a pas des masses qui ont dû en entendre parler. Aussi bien la bagnole que sa technologie d’ailleurs. Mais retournons en 1963. On est tout pile un an avant l’apparition de la première Muscle Car, et le groupe Chrysler cherche à anticiper l’avenir.

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Et ça fait quasiment 10 piges que le groupe Chrysler (à l’époque Chrysler, Dodge, Plymouth) planche sur l’adaptation de la technologie des turbines à l’automobile. Si on se remet un peu dans le contexte, on est en pleine course à l’espace, les jets font leur apparition dans le ciel tout comme les hélicos. On est en pleine révolution technologique, et ça se ressent. Depuis le milieu des 50’s les bagnoles sont marquées par ce design très « aéronautique », regardez les Cadillac de la fin de la décennie pour vous en convaincre. On était donc, sur de bonnes vibes !

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Chrysler, plutôt que de rester que sur le design, jette un bon gros pavasse dans la marre. En 1963, 55 clients choisis parmi 30 000 candidatures, se voient attribuer un exemplaire de ce concept car. Car oui vous verrez que c’est important pour la suite.

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Techniquement parlant, caser une turbine à gaz présente beaucoup d’avantages. La A-831 est finalisée après 3 protos précédents. On part sur quelque chose qui présente 20% de pièces mobiles en moins qu’un bloc classique, un rendement de sagouin puisque tous les gaz sont brûlés (donc beaucoup moins de rejets), sans les vibrations d’un bloc à explosion, mais surtout capable de tourner avec n’importe quel combustible. Ouais, essence, gasoil, kérozène, huile végétale et même… Tequila ! Tout truc qui fait office de combustible peut faire tourner la bagnole, tant que c’est sans plomb.

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Les chiffres sont juste hallucinants. 130 pauvres chevaux pour… 576 Nm de couple ! A titre de comparaison, une 458 Italia c’est 540 Nm de couple. Donc c’est sensé pousser fort, de manière linéaire, un peu comme un bloc électrique. Pourtant, avec un 0 à 100 en 12s à 29°C, on peut pas dire que ce soit un avion… Admirez le jeu de mot !

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Avec sa boîte auto Torqueflite, le tout peut croiser à un peu plus de 190 km/h, selon la température extérieure. Eh oui, une turbine ça comprime et ça chauffe de l’air, donc plus l’air arrive dense, meilleures sont les perfs ! Je vais pas vous détailler ici le fonctionnement d’une turbine à gaz, mais comprenez que plus il fait froid, plus la Chrysler Turbine est performante !

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Le design est confié à l’italien Ghia, et s’inscrit complètement dans l’esprit aéro des 60’s. Devant, on retrouve une chiée de chrome comme les américains savent le faire avec des faux airs de Ford Thunderbird III, et derrière, un cul trèèèèèèèssss… réacteur ! Et d’ailleurs c’est un peu le cas, même si c’est pas des tuyères qui propulsent l’ensemble, le système d’échappement a dû être revu. En effet, la température de ces derniers avait tendance à être excessive et faire un peu fondre le bitume…

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Bref, un vrai ORNI (Objet Roulant Non Identifié). D’ailleurs, même dedans on tient plus de l’avion que de la bagnole. Des manettes et des boutons dont on sait pas à quoi ils servent, un compte-tour gradué à jusqu’à 60 000 tours, et un tunnel de transmission qui tient plus d’un bout de réacteur que d’une pièce de tôlerie… Pas de doute, on est bien dans un concept-car ! Parce que ouais, la Turbine c’était un genre d’étude consommateur grandeur nature.

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‘Voyez les couillons qui vous bourrent le mou au téléphone pour vous demander si votre délire c’est plus Téna ou ID Pants ?! Ben pareil, sauf que là on vous confiait une caisse avec une techno unique sur route. Alors la question c’est surtout « Pourquoi ça a pas marché ?! ». Plusieurs choses, mais déjà, la conso.

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Malgré tous les avantages listés plus haut, le bordel buvait plus qu’un texan solitaire (jusqu’à 50 l / 100), et l’accélération n’était pas terrible en conditions « normales » d’utilisation. Ca poussait très sévère quand vous la jouiez en mode décollage (pied sur le frein et faire monter la turbine dans les tours avant de relâcher), mais c’est à peu près tout.

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Et puis pour les ricains habitués aux glouglous des V8, une caisse qui faisait un bruit d’aspirateur, c’était pas ça. Trop en avance la Turbine ? Pas sûr, sinon on aurait vu la technologie refaire surface. A la fin de l’étude, le verdict est sans appel. Produire cette caisse ne sera pas rentable, faute de clients à mettre en face, et surtout la pertinence d’une turbine en guise de moteur sur une caisse. La grande majorité des 55 exemplaires sont détruits, sauf, 9 exemplaires qui se retrouvent dans des musées ou chez des particuliers, dont 3 en état de marche. Pour info, Jay Leno en possède une.

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Au final, même si ça n’a pas marché, on ne peut que saluer la démarche de Chrysler d’aller jusqu’au bout d’une idée. La Turbine c’est une prouesse. Ils ont su faire une caisse avec une technologie d’avion mais qui soit encore une caisse, conçue comme, et conduisible pour le pèlerin lambda. Et ça c’est vraiment cool. Dommage pour la suite, et c’est pas demain la veille qu’on reverra telle démarche chez un constructeur, donc chapeau Chrysler…

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