La Phantom Corsair, c’est un peu comme le Docteur Frankenstein. Sauf que là c’est le monstre de Rust Heinz… Oui l’un des héritiers de l’empire du Ketchup va préférer se lancer dans le design plutôt que dans la sauce tomate, et il faut croire qu’il a plutôt bien réussi son pari !
Vous l’avez compris, Rust Heinz est le fils cadet d’Henry John Heinz qui, si vous ne le saviez pas, était un richissime homme d’affaire et notamment le créateur du ketchup qui allait porter son nom (DLEDMV, number one sur la culture de la sauce tomate !). En 1934 Rust est âgé de seulement 20 ans, lorsqu’il obtient son diplôme en architecture navale à l’université de Yale et ouvre à Pasadena son bureau spécialisé dans le design industriel. Après avoir conçu quelques bateaux futuristes qui forgeront sa réputation et sa notoriété, il aurait pu se lancer dans l’immobilier, ou déployer un réseau spécialisé dans l’assurance auto MAIF, sauf que notre homme préfèrera développer son esprit créatif en proposant, imaginant et donnant vie à des carrosseries spécifiques pour ses clients fortunés qui ne semblaient manifestement pas trop savoir quoi faire de leurs dollars !
Ainsi, pour donner naissance à ses créations, il fait appel à Christian Bohman et Maurice Schwartz, dont la carrosserie est considérée comme la meilleure de toute la Californie. Rust dessine pendant que Bonham & Schwartz donne vie. C’est en 1936 qu’il va alors imaginer son premier concept car représentant à 100% sa vision de l’auto, du futur, du design… bref, toussa toussa ! Un engin totalement décalé et tourné vers le futur, qu’il va appeler Phantom Corsair, un peu comme dans les films de science fiction de l’époque.
Pour la base, il va prendre la Cord 810, une originale traction bourrée d’innovations technologiques, qu’il venait juste de s’offrir. Il va d’abord élaborer une maquette et s’octroie un budget de 24.000 $… soit 451.000 $ de nos jours ! Manifestement, Rust n’avait pas l’intention de faire les choses à moitié. Le châssis Cord était bien né, équipé de 4 roues indépendantes, Rust va juste le faire élargir afin de coller au gabarit de la nouvelle caisse qui viendra l’habiller, et en profiter pour y greffer des suspensions réglables.
La carrosserie porte donc la signature de Rust Heinz. Le style est aquatique, batracien, futuriste, bionique… choisissez, c’est comme vous voudrez. On appelle ça du Streamline Art Deco. Il n’empêche que si on refout la voiture dans son contexte en 1936, personne n’avait jamais vu ça ! Quel que soit l’angle, on reste impressionné par la vision du Rust. Lignes profilées, calandre sous forme de louvers, regard frenché, roues carrossées, toit chopé, caisse lissée, double hublots en guise de pare-brise et de lunette arrière. La recherche du détail est poussée jusqu’aux pare-chocs montés sur amortisseurs ou la plaque d’immat’ arrière posée sous verre. Une ligne si étirée qu’elle cache le gabarit de l’engin puisqu’il affiche quand même plus de 6 m de long sur quasiment 2 de large pour une hauteur d’1m45.
Et c’est aussi original dedans que dehors. Le tableau de bord n’aurait rien à envier à un Boeing de la même époque avec sa batterie de 13 cadrans comprenant une boussole et un altimètre. L’habitacle est insonorisé et traité anti-crash avec un large doublage en liège et en plastique. Les vitres en double vitrage sont teintées, les portes dépourvues de poignées sont à ouverture électrique, et les six passages (4 devant et 2 derrière) peuvent jouir d’un bar, d’un combiné clim-chauffage et d’un autoradio !
Enfin au niveau mécanique, Rust a jugé bon de conserver le V8 Lycoming de 4.7 l shooté au compresseur, que le préparateur Andy Granatelli a fait passer de 170 à 192 ch. Malgré les 2 tonnes de l’engin, il est capable de cruiser à 185 km/h maxi. Pour passer les watts aux roues avant (rappelez vous que la Cord était une traction) Rust a fait confiance à une boitoto électromagnétique 4 rapports de chez Cotal (à la place de la BorgWarner d’origine).
Il faudra deux années de taf aux équipes de Bonham & Schwartz pour venir à bout de la Phantom Corsair. Mais en 1938, quand elle apparait, elle bouleverse un peu tout ce qui a existé avant elle, on la présente comme « la voiture de demain ». Rust va même aller voir du côté d’Hollywood. Sa Phantom Corsair va devenir the Flying Wombat et faire une apparition dans le film « The young in heart » avant d’être exposée à la foire internationale de New York en 1939.
Malheureusement, en juillet de cette même année, Rust Heinz va se tuer des suites d’un accident de voiture. Il n’avait que 25 ans. Il emporte avec lui le projet d’une production en petite série de cette Phantom Corsair, qu’il souhaitait vendre au prix ahurissant de 12.500 $ (Sachant qu’une Cord neuve coutait 1995 $ !). En 1942, sa famille va vendre la voiture qui va alors ne cesser de passer de proprios en proprios. Certains n’hésitant pas à la faire modifier avant qu’elle ne soit rachetée par William Hannah, un riche homme d’affaire de Reno ayant fait fortune dans les hôtels et les casinos. Collectionneur d’auto, il va redonner à la Phantom Corsair ses lettres de noblesses en la faisant restaurer telle qu’elle était en 1938. Il va la conserver jusqu’à sa mort où elle va alors rejoindre le National Automobile Museum de Reno.
Pour beaucoup, la Phantom Corsair reste celle qui allait symboliser le Streamline moderne, allant même jusqu’à révolutionner le style des voitures à la fin des 30’s et inspirer nombre d’entre elles.